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Aussi l’enfance me fut chère
Encor plus qu’à toute autre mère,
Et j’alignai, pour les enfants,
De petits récits ou des fables,
Ou du moins des choses affables,
Et non des poèmes savants.

Femme au cœur pur, femme au cœur tendre,
À tes enfants fais-les apprendre ;
Dis-leur quelle fut ma douleur
Et que je n’ai glané sur terre,
À côté du devoir austère,
Que les revers et le malheur.

Je ne suis pas une inconnue ;
Voici mon âme toute nue :
« Je n’ai su qu’aimer et souffrir ;
Ma pauvre lyre, c’est mon âme[1]. »
Et que personne ne me blâme,
Car j’ai souffert jusqu’à mourir.

N’as-tu pas senti la misère
Qui vous étouffe sous sa serre ?
Le ciel t’en préserve, ô ma sœur !
Moi, j’ai lutté toute la vie
Contre ce démon plein d’envie :
J’ai frémi devant sa noirceur.

Mais ma misère resta fière ;
C’est dans une attitude altière
Que j’ai gardé ma dignité.
Fais comme moi, si l’indigence
T’écrase sous son inclémence :
Dieu protège la pauvreté.

  1. Ces deux vers sont de Marceline et, si on se les est appropriés, c’est qu’ils résument toute la vie et toute l’œuvre de notre poétesse