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LE MÉNESTREL

— L’Opéra de Vienne vient de fêter la cinquantième représentation du ballet de MM. Regel, Hassreiter et Bayer, Rouge et Noir, dont la production date du 4 avril 1891. Les journaux viennois ont saisi cette occasion pour publier la liste complète du répertoire chorégraphique de l’Opéra avec le chiffre des représentations atteint par chaque ouvrage. Voici cette nomenclature : Flick et Flock, 273 représentations ; Valses viennoises, 261 ; la Fée des poupées, 232 ; Excelsior, 215 ; Satanella, 187 ; une Aventure de carnaval à Paris, 184 ; Fantasca, 154 ; Soleil et Terre, 137 ; la Fille mal gardée, 128 ; Robert et Bertram, 113 ; Giselle ou les Willis, 107 ; Esmeralda, 88 ; Coppélia, 81 ; Ellinor, 80 ; Rococo, 76 ; Sylvia, 71 ; Mélusine, 66 ; Pluie de feu, 54 ; le Ménétrier, 50 ; Fiamella, 46 ; Diellah, 43 ; la Légende de la danse, 41 ; Saltarello 39 ; le Monde doré des contes de fées, 36 ; les Femmes métamorphosées, 36 ; Renaissance, 30 ; Entre l’enclume et le marteau, 27 ; Arlequin électricien, 24 ; Margot, 22 ; une Noce en Bosnie, 18 ; la Chatte métamorphosée, 18 ; l’île des Sirènes, 15 ; les Quatre Saisons, 13 ; le Carillon, 13 ; Amours d’étudiants, 12 ; le Diable au pensionnat, 12.

— Le nouveau théâtre royal de Wiesbaden sera inauguré le 16 octobre en présence de l’empereur Guillaume, qui a lui-même réglé, avec M. de Hulsen, le programme du spectacle de gala, qui sera composé comme suit : Salut à l’Empereur, par la fanfare ; ouverture de la Consécration du foyer, de Beethoven ; Feslspiel avec tableau vivant, de M. de Hulsen ; ouverture du deuxième acte du Tännhauser. Le nouvel édifice s’élève à vue d’œil, paraît-il. Six cents ouvriers y travaillent jour et nuit. On y représentera Werther au cours de la saison.

— Le Residenztheater de Dresde rouvrira le 15 septembre avec une opérette entièrement nouvelle de M. Dellinger, le chef d’orchestre du théâtre. Titre : la Diseuse de chansonnettes.

— À l’Opéra de Francfort, le chef d’orchestre Rumpel vient de déposer son bâton. C’est M. Erben, du théâtre municipal de Hambourg, qui a été désigné pour le remplacer.

— Le célèbre compositeur autrichien Antoine Bruckner vient d’entrer dans sa 71e année et a reçu à cette occasion les félicitations du conseil municipal de Steyr dans la haute Autriche, où il naquit en 1824. À l’âge de 16 ans il fut nommé aide du maître d’école d’un village aux appointements de cinq francs par mois ; pour vivre il était obligé de jouer du violon quand les paysans voulaient danser. Quelques années plus tard il obtint une place de maître d’école et d’organiste dans un couvent de la haute Autriche, aux appointements de 250 francs par an. Ce n’est qu’en 1856 qu’il réussit à obtenir la place d’organiste à la cathédrale de Linz, capitale de son pays, après avoir vaincu dans un concours tous ses concurrents. À Linz commença la carrière de compositeur du jeune organiste ; sa première symphonie y fut écrite. Au grand concours d’organistes à Nancy, en 1869, Bruckner se distingua d’une façon toute particulière ; à Bruxelles et à Paris son jeu fut également très admiré. Le gouvernement autrichien l’envoyait à Londres, en 1871, pour prendre part au concours d’organistes au Palais de Cristal ; Bruckner y obtint le premier prix. Depuis ce temps Bruckner est universellement connu comme organiste et comme compositeur. Les trois symphonies qu’il a déjà fait jouer le placent au premier rang des compositeurs dans le domaine de la musique absolue, et on peut dire que depuis Beethoven aucun compositeur allemand n’a atteint à ce degré de puissance inventive et d’ampleur de développement musical. Bruckner est en même temps un maître de l’orchestration moderne, et sous ce rapport il fut fort apprécié par Richard Wagner, qui le tint en estime toute particulière. Malheureusement, le génie débordant de Bruckner n’a jamais su s’accommoder aux formes d’usage, et cet illustre vieillard est encore aujourd’hui, à l’apogée de sa gloire, d’une modestie et d’une naïveté vraiment touchantes. Il n’a pas pu entièrement échapper aux honneurs dus à son génie ; il est décoré et fut même nommé docteur en philosophie de l’Université de Vienne honoris cause, mais sa situation dans le monde serait tout autre s’il avait possédé une parcelle de ce savoir-faire qui distinguait ses contemporains Meyerbeer, Verdi, Wagner et Brahms. Bruckner a renoncé avant l’âge à ses places d’organiste à la cour d’Autriche et de professeur de contrepoint au Conservatoire de Vienne. Il vit très modestement dans sa retraite, ne s’occupant que de sa neuvième symphonie, qu’il espère faire jouer au cours de la saison prochaine. De son vivant, Bruckner ne fait pas beaucoup parler de lui, mais l’histoire de la musique conservera son nom quand beaucoup de compositeurs de notre époque, qui ont rempli des colonnes de journaux, seront totalement oubliés.

O. Bn.


— Une dernière tentative vient d’être faite à Hambourg pour maintenir l’existence des concerts Bülow, sous la direction du chef d’orchestre Mahler, mais elle a échoué devant l’abstention presque complète des anciens abonnés, en dépit de tous les efforts de l’agent Hermann Wolff. On cherche en ce moment à instituer à Hambourg une nouvelle société philharmonique, qui aurait à sa tête le chef de musique du 31e régiment d’infanterie (armée thuringienne).

M. H. Reimann, l’éminent écrivain musical berlinois, est en ce moment occupé à rassembler les principaux articles de critique et les lettres sur la musique que Hans de Bülow a fait paraître dans les journaux et revues, pour en former un volume qui sera publié prochainement.

— S’il faut en croire l’Allegemeine Musik-Zeitung, le pianiste Alfred Reisemann, qui a terminé une énorme tournée de concerts en Scandinavie, en Danemark et en Russie, aurait gagné, en 540 séances, la bagatelle d’un million de marks, soit 1,250,000 francs.

— Il y aura, cet hiver, une saison importante d’opéra italien à Saint-Pétersbourg. Voici la très belle troupe engagée par M. Carlo Guidi : Soprani, Mmes Marcella Sembrich, Emma Calvé, Lina Pacary et Paolina Leone ; Mezzo-Soprani, Mmes Virginia Guerrini et Maria Ruggieri ; Ténors, MM. Francesco Marconi, Ferdinando Avedano et Paolo Rossetti ; Barytons, MM. Mattia Battistini et Antonio Cotogni ; Basses, MM. Romano Nannetti et Alessandro Silvestri ; Chef d’orchestre, M. Vittorio Podesti ; Directeur artistique, M. Antonio Ughetti. Parmi les ouvrages français au répertoire, nous ne voyons comme nouveauté que la Navarraise de M. Massenet.

— Deux théâtres nouveaux sont en ce moment en construction à Moscou. Un amateur millionnaire, le général Salodownikoff en fait édifier un qu’on espère voir terminé complètement vers le prochain mois de décembre, et qui ne contiendra pas moins de 3.000 places (le théâtre Impérial n’en compte que 1.740), avec tout le confort et toutes les commodités que les spectateurs exigent en Russie et qui sont, hélas ! inconnus chez nous. Le nouvel édifice comportera quatre rangs de loges, toutes très spacieuses et ayant chacune leur salon. On croit que ce théâtre sera surtout destiné aux tournées d’artistes étrangers célèbres qui voudront se faire connaître au public russe dans les conditions de prix les plus modestes. — On achève aussi à cette heure un autre théâtre, le théâtre Eschoukine, qui est construit avec un grand luxe et qui sera consacré au drame et à la comédie. On espère que celui-ci sera inauguré dans le courant du prochain hiver par les représentations de la troupe anglaise du célèbre tragédien Irving, avec lequel des pourparlers sont entamés.

— C’est la Neue Freie Press, de Vienne, qui a mis en circulation la nouvelle, reproduite par nous, que Verdi abandonnait, au moins pour le moment, l’idée d’écrire un Roi Lear pour s’attacher à un Ugolino. Le Trovatore que nous avons toujours trouvé parfaitement informé en ce qui concerne les projets du maître, dément ce bruit d’une façon formelle et déclare que c’est là « une nouvelle à mettre en quarantaine ».

— La ville de Naples n’est pas satisfaite de ses douze ou quinze théâtres, qui pourtant ne font pas tous de brillantes affaires. Elle s’en fait construire un nouveau, qu’on est en train d’édifier au Rione Vasto, entre la via Firenze et la via Arenaccio. Ce théâtre est conçu dans les proportions modestes de celui des Fiorentini, et l’on espère en pouvoir faire l’inauguration au mois de décembre prochain.

— Le bruit court en Italie que la direction du Lycée musical Rossini de Pesaro, laissée vacante par la mort tragique de l’excellent Gark Pedrotti, pourrait bien être confiée au jeune compositeur Puccini, mis en lumière par quelques succès récents. Selon le Trovatore, ce bruit ne doit être accueilli pourtant qu’avec beaucoup de réserve.

— Un journal italien nous apprend qu’on doit exécuter prochainement à Aversa, sous la direction du maestro Domenico Parmeggiano, une messe à grand orchestre de Bellini, « dont le précieux autographe était jalousement conservé depuis fort longtemps par un prêtre de cette ville, amateur passionné de musique religieuse. » Le maestro Parmeggiano, en possession duquel se trouve aujourd’hui cet autographe, est, dit-on, dans l’intention d’en faire don au Conservatoire de San Pietro a Maiella, à Naples, où par les soins de l’excellent Francesco Florimo, se trouvent déjà réunis un si grand nombre de manuscrits du doux chantre sicilien.

— Aux représentations populaires d’opéra que donne en ce moment le théâtre Quirino, de Rome, on signale particulièrement un nouveau ténor M. Geppi, qui a abandonné l’athlétisme pour un art plus relevé et qui, paraît-il, n’a pas à s’en repentir. « M. Geppi, dit le journal l’Italie, était un lutteur. On l’a vu au Politeama de Rome. Maintenant il s’est fait chanteur, et il a eu raison car il possède une voix splendide et il a une fortune dans la gorge. C’est à lui de savoir la gagner. »

— La rage du ballet en Italie. On sait quels sujets singuliers choississent souvent nos voisins pour leurs actions chorégraphiques. Celui-ci ne sert pas le moins original. Il s’agit d’un fait d’actualité mis en pirouettes et entrechats sous ce titre flamboyant, la Prise de Karsala. Il sera curieux sans doute de voir les évolutions dansantes des bersagliers italiens jointes aux gambades plus ou moins burlesques des guerriers abyssins. Il nous semble pourtant que le sujet manquera un peu de gaîté. C’est l’Éden-Festival de Florence qui aura la primeur de ce spectacle intéressant.

— Chanteurs italiens librettistes et compositeurs. Tandis que le baryton Luigi Pignalosa, qui s’est déjà fait connaître par quelques romances, est en train d’écrire, sur un poème de M. Angelo Bignotti, la musique d’un opéra intitulé Fortunella, son confrère, le baryton Leone Fumagalli, vient d’employer ses vacances à tracer le livret d’un opéra en un acte qui porte ce titre assez singulier : Amen ! et qui met en scène un épisode de la vie de Garibaldi. On sait déjà qu’un troisième baryton, M. Senatore Sparapani a fait représenter, il n’y a pas longtemps, un opéra composé par lui, et que la fameuse cantatrice Mme Gemma Bellincioni a écrit récemment le livret d’un autre opéra, qu’elle doit chanter l’hiver prochain avec M. Roberto Stagno. Mais alors, que vont devenir en Italie les auteurs et les compositeurs dramatiques, dont la situation n’est pas déjà très florissante ?

— Le bruit court que l’infatigable colonel Mapleson s’occupe de constituer un syndicat financier pour l’exploitation, sous sa direction, du théâtre Covent-Garden à Londres, avec le titre d’Impérial Opéra Company. Il espère pouvoir réunir, avant la date fixée pour le renouvellement du bail de Co-