Page:Le Littré de la Grand'Côte, éd. 1903.pdf/183

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

FROID. — Nous le faisons féminin. La froid pique. Nous avons enduré la froid.

Ramasser froid, Prendre froid, Prendre un coup de froid, Prendre un refroidissement.

Prendre un froid et chaud. Mauvaise maladie. Le Père Petavet ne fait que tousser. —— C’est un froid et chaud. — Faut lui mettre un emplâtre de la rue Saint-Jean.Froid et chaud est une métathèse pour chaud et froid, seul employé par les personnes qui ont étudié la médecine.

Étre en froid avec quelqu’un, Être en délicatesse. Je ne sais pourquoi cette charmante locution ne figure pas dans les dictionnaires. L’Académie a celle-ci, bion plus bizarre : « Faire froid à quelqu’un. »

La froid va piquer, les étr… fument. Phrase que vous ne manquerez jamais à dire en passant devant un gone qui fume. Vous êtes sûr de lui faire plaisir.

Il est comme les mauvaises bêtes, il prend chaud en mangeant et froid en travaillant. Voy. chaud.

FROMAGE. — Fromage blanc (voy. claqueret), Fromage mou fait avec du lait de vache.

Fromage fort. C’est un fromage à l’état pâteux, de goût très monté. J’ai teté jusqu’à trois ans de lait qu’était épais comme de fromage fort, me disait un jour un Hercule, à la vogue de la Croix-Rousse. Ce fromage n’étant pas d’usance à la maison je me suis adressé, pour en avoir la recette, à mon excellent ami Claudius Porthos, qu’à cause de se stature, comparable à celle d’Ajax, et de ses muscles puissants, nous avons surnommé « le Rempart de la Croix-Rousse ». Je ne saurais mieux faire que de transcrire sa réponse ; elle est d’un homme congruent en la matière.

« Il y a fromage fort et fromage fort. Celui de la Bresse et du Dauphiné est assez primitif. On prend du fromage de vache, qu’on a fait préalablement sécher entre deux linges sur la braise ; on le met dans un pot de terre, et on le broie en le mouillant avec du bouillon de porreau, plus ou moins assaisonné de beurre frais. On le recroit en ajoutant du fromage et du bouillon. C’est l’enfance de l’art. Voici le vrai fromage fort de la Croix-Rousse :

« On achète une livre ou deux de fromage bleu bien fait ; on enlève la croûte et on le met dans un pot de terre. Il faut vous dire qu’il est important de prendre du fromage gras, dépourvu de vesons, qu’à l’Académie française ils appellent des asticots. Non que l’asticot soit à dédaigner par lui-même, mais comme celui-ci périt nécessairement dans le fromage fort, étouffé par les vapeurs de la fermentation, il devient peu ragoûtant. Ce n’est plus l’asticot aux tons d’ivoire, bien en chair, appétissant, qui gigaude sur l’assiette, et qu’on savoure avec délices, mais une espèce de pelure grisâtre : ce je ne sais quoi qui n’a plus de nom dans aucune langue, dont parle Bossuet. Le fromage bleu est alors arrosé de vin blanc sec et bien pitrogné avec une cuillère de bois. Lorsque la pâte est à point, on râpe du fromage de chèvre bien sec avec une râpoire, et on l’ajoute au levain jusqu’à ce que le pot soit à peu près plein. On continue de mouiller avec le vin blanc. Le fromage fort est fait !

« On le recroit, à mesure que le pot se vide, toujours avec du fromage de chèvre râpé et du vin blanc sec. De temps en temps, lorsqu’on s’aperçoit qu’il devient moins gras, on verse dessus un bol de beurre frais qu’on a fait liquéfier au four. Il ne faut pas que le beurre soit trop chaud.

« Première remarque importante : Ne jamais mouiller le fromage avec du bouillon, ce qui lui donne un goût d’aigre.

« Deuxième remarque importante : Brasser tous les jours le fromage avec une cuillère de bois.

« Un grand pot ainsi préparé et entretenu convenablement dure depuis l’automne jusqu’à l’été.

« Vous le voyez, un pot de fromage fort, bien réussi, vaut seul un long poème. Aussi une ménagère soucieuse n’oublie-t-elle jamais, au printemps, d’en conserver un petit pot pour l’hiver suivant. Elle remplit celui-là aux trois quarts, fait fondre une livre de beurre, et le verse presque froid sur le fromage. Elle descend ensuite le pot à la cave. Cette couche épaisse de beurre fondu est placée là à seule fin d’empêcher l’air extérieur de petafiner le fromage fort. On entretient ainsi le ferment sacré avec une piété jalouse qui rappelle celle des prêtresses de l’antiquité conservant le feu sur l’autel de Vesta. Je connais une famille à Fleurieu-sur-Saône, où le fromage fort est conservé depuis 1744. Lorsqu’une fille se marie, elle reçoit avec la couronne de fleurs d’oranger le pot précieux qu’elle transmet à ses enfants. Si, dans beaucoup de familles, le fromage fort ne remonte pas même à un siècle, il faut l’attribuer aux horreurs de 93, qui firent tout négliger. »