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AIL. — Compliment à l’ail. Dire à une dame qu’elle a passé trente ans, c’est lui faire un compliment à l’ail.

Pratique à l’ail. Ce n’est pas une bonne pratique. Le mot vient probablement de ce que les pratiques qui sentent trop l’ail n’appartiennent généralement pas à la classe des gros financiers. Par extension : Mauvais sujet.

AILE. — Pied d’aile. Bandes de maçonnerie de un pied à gauche et un pied à droite d’une gaine de cheminée appuyée contre le mur du voisin, et qui se payaient en plus de la mitoyenneté de la gaine. — Image poétique. Ces deux bandes sont considérés comme les ailes de la gaine.

AIMER. — Aimer quelqu’un comme la minuit de la veille de deux fêtes. Expression qui nous reporte au temps antérieur au Concordat où les fêtes étaient multipliées. Dans la Déclaration d’amour d’un ouvrier en soye à une satinaire, du 15 navri 1785, on lit : « Mais jetons voir z’un voile n’épais sur ce sujet z’aussi funeste que fâcheux, bien persuadé que vous m’aimerez comme la mi-nuit de la veille de deux fêtes, et que votre constance nous fera goter à tous deux le fruit de n’amour que ne doit fini qu’avec la vie. »

AINSI. — Ainsi par conséquent. Proscrit par Molard comme formant pléonasme. Pourtant on dit bien enfin finalement !

Ainsi comme ainsi, locution pléonestique très usitée dans le vieux français pour ainsi.

AIR. — Aller grand air et belles manières. Blâmé par Molard, qui ajoute : « Dites grand’erre. » Il est bien vrai que le mot air a été mis ici par confusion avec erre, comme dans cette phrase : « Le vaisseau va grand air » pour erre. Mais aller grand erre et belles manières est absurde. C’est comme si vous disiez : « Cet homme va très vite et belles manières. », Ce n’est que lorsqu’on a eu compris air pour erre qu’on ajouté « belles manières », parce que le grand air et les belles manières vont ensemble. Comp. beau jeu, bon argent.

Avoir l’air d’avoir deux airs. Se dit de quelqu’un qui trahit par son manque d’assurance l’ambiguité de sa conduite. Lorsque mon brave camarade Gouillasson surprit sa femme en fabricandélits avec son faux ami Pétavoine : Dites donc, vous, lui fit-il avec dignité, vous me faites encore l’air d’avoir deux airs !

Il est toujours en l’air. Se dit de quelqu’un qui est empressé, qui se donne constamment du mouvement. « Le canequié Dagniel, qu’était toujou en l’air, » dit l’auteur de la Châste Suzanne.

Avoir ce petit air. C’est ce que, dans leur argot, les Parisiens appellent avoir du chien. Ma grand’, en passant un jour à Sainte-Foy devant la porte de sa chambre, aperçoit, en train de relever ses cheveux devant la glace, sa femme de chambre, qui disait : Je ne sons pas jolie, mais tout de même j’ons ce petit air !

Un air de feu vaut souvent mieux qu’un air de violon. Proverbe dont, par les temps froids, j’ai maintes fois vérifié l’exactitude.

Cette femme a l’air bonne. Seule forme française, en dépit des grammairiens qui veulent qu’on dise a l’air bon, parce que « bon se rapporte à air ». Alors quand, d’après vos principes, vous dites : « Cette pomme à l’air cuit », c’est donc l’air qui est cuit, badauds ? Comprenez donc que ce n’est pas l’air de la femme qui est bon, mais la femme qui a l’air (d’être) bonne ! Pure ellipse.

Donner de l’air à quelqu’un. Ce n’est pas l’éventer, mais lui ressembler. J’assistais un jour à une reconnaissance touchante : Ah ! monsieur, disait devant moi un vieillard à un jeune homme, j’ai beaucoup connu monsieur votre papa. Le digne homme ! nous nous sommes bien souvent soûlés ensemble. C’est extraordinaire comme vous lui donnez de l’air !

Avoir l’air, appliqué à une femme ou à un objet du genre féminin, régit toujours le féminin : Cette femme a l’air bonne ; cette poire a l’air verte. Par analogie, nous disons : Cette fleur sent bonne ; cette moutarde sent forte.

AIRER, v. a — Aérer. Un bonhomme de marchand de soye était allé aux Célestins, ensemble sa femme et sa fille. Le lendemain il se plaignait à moi du manque d’air : J’ai été obligé de venter tout le temps pour airer la loge. Il voulait dire, je suppose, faire du vent avec un éventail. — Vieux franc. airer. « Ayrez ces draps de paour des vers. » (Cotgrave.) L’Académie dit encore en 1694 : Airier, chasser le mauvais air de quelque endroit. » Aérer est un barbarisme. Si l’on doit dire aérer, il faut dire de l’aèr.

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