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nuages, réfléchissait un moment, puis il disait : Euh, euh, des fois pleuvra ; des fois pleuvra pas ; des fois ça sera quèques dégouts. Chose extraordinaire, il ne se trompait presque jamais. — Subst. verbal de dégoutter. Le bon Regnier dit :

Et du haut des maisons tomboit un tel desgout,
Que les chiens altérez pouvoient boire debout.

DÉGOÛTÉ. — Dégoûté avant de plaire. Se dit de quelqu’un qui tord le nez à quelque chose ou à quelque besogne, par exemple à un plat dont on lui offre.

DÉGRENÉE, adj. — Se dit d’une pompe, qu’en pompant, l’on ne pompe plus. Cela vient de ce que le cuir, étant trop sec, s’est recrenillé, inévitablement. Alors comme alors, le piston laissant passer des courants d’air, la pompe s’enrhume (comme on le connaît au bruit), et l’eau ne monte plus, provisoirement. Le remède est de vider de l’eau par le haut dans le corps de pompe, abondamment. L’eau mouille le cuir ; et quand il est gonfle, l’eau d’en bas monte, ascensionnellement. — Dégrené est l’opposé d’engrené, de in-crenare, lui-même de crena, cran. Au fig. Misérable, affamé ; quelqu’un dont le piston ne fonctionne plus. « Mange et bois, dégrené, remplis-toi la bredouille, » a dit Lamartine, ne sais plus où. Ce doit être dans la Chute d’un ange.

DÉGRENER, v. a. — Enlever les dorses des petits pois, des fiageôles, etc. Dégrener des groseilles, Faire entrer le picou entre les dents d’une fourchette, et en insistant, faire tomber les graines dans un coupon, pour les convertir en confiture. — De grain : dégrainer, dégrener.

DÉGROBER, v. a. — Désencutir quelqu’un ; l’arracher à son immobilité semblable à celle d’une grobe. Allons, faut pourtant se dégrober du cabaret. Jules, vons-nous-t’i ou vons-nous pas-t’i ?

DÉGUENILLER, v. a. — Dégueniller quelqu’un, Le faire se dépêcher par des invectives ou des menaces. Mon mari a la cagne tous les matins, me disait une aimable dame, il faut toujours que je le déguenille pour le faire lever. En partie toutes les dames ont la fâcheuse habitude de dégueniller leurs bonnes du matin au soir.

DÉGUILLER, GUILLER, v. n. — Tirer au sort dans les jeux des gones pour désigner le chat ou le maire. — Composé avec le préfixe disjonctif de et guille, en suisso-romand pointe, sommet, du vieux haut allemand chekil, chegil. D’où déguiller, tomber, faire tomber. Comp. tomber au sort.

Il n’y a qu’une méthode classique de déguiller. À cha trois, les gones crient en se tapant sur la cuisse (les loustics se tapent sur la fesse) zig, zing, zoug, et relèvent la main en tendant les bras dans la position du serment du Grütli. Alors, de deux choses l’une, ou les trois mains sont tournées de même, paume dessus ou dessous, et alors rien de fait, on recommence, ou une des mains est tournée différemment des deux autres, et celui à qui elle appartient se retire. On continue ainsi jusqu’à la gauche et le dernier qui reste sans s’être retiré est maire.

Les jeunes personnes préfèrent à ce mode trop mâle la désignation du chat par la chanson :

Uni, Unelle,
Gazin, gaselle,
Du pied, du jonc,
Coquille, bourdon,
Un loup, etc.

DÉHONTÉ, ÉE, adj. — Sans honte, sans pudeur. Mme Évesque, qui signale ce mot, ajoute : « Dites éhonté ». Ce qui pouvait être une incorrection au temps de Mme Évesque ne l’est plus aujourd’hui. Dans son édition de 1835, l’Académie a recueilli déhonté qui est d’ailleurs plus euphonique qu’éhonté, et plus expressif, le préfixe ayant pour le populaire une signification plus marquée que son collègue é.

DÉJÀ. — Ma fois, ce n’est déjà pas si fameux !Comment s’appelle-t-il déjà ? Dans ces phrases, « déjà » a une valeur expressive qui se sent à ravir, mais que je ne sais comment exprimer.

DÉJETÉ, ÉE, adj. — Abattu, affaibli, diminué, dècheté. À quatre-vingts ans on est bien déjeté. — Vieux franç. dejecté, « brought low, cast down » (Cotgr.), de dejectare.

DÉJOINDRE, v. a. — Disjoindre. Le préfixe populaire a été substitué au préfixe savant dis. C’est ainsi qu’en patois ripagérien déloqué est pour disloqué. Si à l’inverse, nous disons dispenser pour dépenser, c’est que c’est un archaïsme.