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ABADER (S’), v. pr. — S’ensauver, décaniller, prendre la poudre d’escampette, se pousser de l’air, jouer des flûtes, des canilles, des guibolles, tirer ses grègues, etc. — Du provençal badar ouvrir, lui-même du bas latin badare. D’ouvrir, l’idée s’est étendue à sortir.

ABANDON, s. m. — « Acte par lequel un débiteur transmet à ses créanciers la propriété de ses biens ; dites abandonnement. » (Molard)[1]. Homme sévère, mais injuste, vous ne lisiez donc pas l’Académie ! « Abandon se dit pour délaissement. Il a fait l’abandon de sa terre. » (Édit de 1798.) — Mais ne décrions point trop Molard. Le célèbre médecin Marc-Antoine Petit put lui dire, dans son sublime poème d’Onan ou le tombeau du Mont-Cindre : « Noble ami, sage Molard, toi que le ciel sembla nommer instituteur en te nommant quatorze fois père !… » Le français de Marc-Antoine n’était point digne de Molard, mais je serais plus fier d’avoir élevé quatorze enfants que d’avoir écrit l’Énéide.

ABAT, s. m. — Se dit d’une pluie abondante. Quel abat d’eau ! Quelle averse ! — Figurém. Volée de coups. Son homme lui a donné un abat ! Cochard, par suite d’une agglomération assez singulière du nom avec l’article, le donne sous la forme Labat.

ABATAGE. — 1. Faire un abatage, c’est attacher le bout d’une corde à un objet et l’autre bout à un levier, puis, avec la grande branche du levier, faire aigre pour déplacer l’objet. Au fig. donner un abatage, donner un ratichon, un suif, une graisse, un poil, un savon. Figure-toi que la bourgeoise n’a rentré qu’à deux heures du matin. C’est moi qui lui ai fichu un abatage !

2. Opération gracieuse et délicate qui consiste à renverser le cayon, et à lui ouvrir le bec, en faisant aigre avec un bâton, à celle fin de procéder à l’inspection de la langue. Généralement pendant ce temps-là, le cayon chante le grand air de Tannhauser.

ABAT-JOUE, s. f. — Parlant par respect, partie du visage du cayon, de l’œil à la mâchoire. — Corruption de bajoue. Dans celui-ci il y a joue, précédé d’un préfixe péjoratif ba. Dans abat-joue, nous lisons une joue abattue. Ça n’est pas plus bête qu’autre chose.

ABAT-JOUR, s. m. — 1. Soupirail de cave. En 1871, l’on boucha tous les abat-jour, crainte que les honnêtes gens de la Commune n’y jetassent du pétrole. Quand nous étions petits, nous n’y jetions pas du pétrole. En ce temps-là, on mettait les boites aux lettres dans les soubassements des devantures des bureaux de tabac. Certain soir, en rue Saint-Jean, l’un de nous se trompa, et prit l’ouverture de la boîte aux lettres pour un soupirail de cave. C’est à propos de cette erreur que parut une ordonnance prescrivant de placer les boites aux lettres au-dessus de la portée des arquebuses des petits gones.

2. Jalousie au devant des croisées. D’abattre et jour. Comp. abat-son, abat-foin, et un tas de nouvelles inventions : abat-fruit, abat-froid, abat-poussière, etc.

ABATTANT, s. m. — Tablette munie de charnières, qu’on peut abattre ou lever à volonté. Les tournures des dames sont des espèces d’abattants.

  1. Étienne Molard, professeur de grammaire et de latin, directeur de l’École secondaire du Midi en l’an XIII, et l’un des fondateurs du Cercle littéraire, est l’auteur d’un ouvrage, publié en 1792. intitulé Lyonnoisismes ou Recueil d’expressions vicieuses usitées à Lyon. Cet ouvrage, peu à peu considérablement augmenté, a eu au moins cinq éditions sous divers titres. Celle de 1810 porte celui de Le mauvais langage corrigé. Molard est mort le 6 mars 1825.
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