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çâmes à la poursuite des deux ombres, qui, après avoir un instant contourné le bas du bourg, en suivant le chemin de la Vieille-Planche, remontèrent délibérément vers l’église. Ils couraient régulièrement sans trop de hâte et nous n’avions pas de peine à les suivre. Ils traversèrent la rue de l’église où tout était endormi et silencieux, et s’engagèrent derrière le cimetière dans un dédale de petites ruelles et d’impasses.

C’était là un quartier de journaliers, de couturières et de tisserands, qu’on nommait les Petits-Coins. Nous le connaissions assez mal et nous n’y étions jamais venus la nuit. L’endroit était désert le jour : les journaliers absents, les tisserands enfermés ; et durant cette nuit de grand silence il paraissait plus abandonné, plus endormi encore que les autres quartiers du bourg. Il n’y avait donc aucune chance pour que quelqu’un survînt et nous prêtât main-forte.

Je ne connaissais qu’un chemin, entre ces petites maisons posées au hasard comme des boîtes en carton, c’était celui qui menait chez la couturière qu’on surnommait « la Muette ». On descendait d’abord une pente assez raide, dallée de place en place, puis après avoir tourné deux ou trois fois, entre des petites cours de tisserands ou des écuries vides, on arrivait dans une large impasse fermée par une cour de ferme depuis longtemps abandonnée. Chez la Muette, tandis qu’elle engageait avec ma mère une conversation silencieuse, les doigts frétillants, coupée