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Le 3 mai 1643 le jubé construit à grands frais à l’entrée du chœur pour recevoir le Bras de saint Corentin était enfin terminé ; la chasse d’argent surmontée de deux anges et de l’image du saint était toute prête ; la veille de ce jour le pieux évêque René du Louet visita la relique, reconnut les cachets dont elle avait été scellée (de l’abbaye de Marmoutiers, des évêques de Quimper et de Saint-Malo, etc.) et la caisse même qui portait l’empreinte de ces sceaux. Il dressa un nouveau procès-verbal. La translation se célébra avec une solennité inouïe, et avec le concours du Chapitre, de tout le clergé séculier et régulier de la ville et de Kerfeunteun, du Présidial, de l’Hôtel de Ville ; la station de la procession solennelle fut l’église de Locmaria. Une foule innombrable suivait le cortège. Pendant huit jours la relique resta exposée à la vénération ; la grand’messe et les vêpres se chantaient avec solennité et la procession se faisait à la cathédrale, avec le même concours du clergé, des religieux, des magistrats et du peuple.

On peut dire qu’à partir de cette date le Bras de saint Corentin est devenu le palladium de la ville de Quimper. L’octave de la translation ayant été célébrée, il fut placé sur le jubé construit à cet effet, et de 1640 jusqu’à la Révolution il ne fut descendu (c’est le mot consacré) que trois fois le 28 août 1768, par Auguste-François-Annibal Guillé de Farcy, le 8 juillet 1782 et le 6 mai 1785 par Toussaint Conen de Saint-Luc. Le cérémonial fut exactement le même qu’en 1643, et les solennités durèrent encore huit jours. À ces processions figuraient aussi les autres reliques que possédait la cathédrale, et la statue d’argent de saint Corentin.

Cette statue avec les reliquaires en métal précieux fut confisquée en 1790, et les reliques restèrent sans aucune châsse convenable pour les exposer.

En 1791 l’évêque constitutionnel Expilly fit démolir le jubé élevé d’après le vœu des bourgeois et qui, il faut bien le dire, avait mieux prouvé leur piété et leur générosité que leur bon goût. En dépit de l’enthousiasme qu’elle avait inspiré au bon Père Maunoir, cette massive construction masquait le chœur on peut donc savoir gré au prélat intrus, à ses vicaires épiscopaux, au maire Le Goarre et à l’entrepreneur Castellan d’en avoir débarrassé la cathédrale. Alexandre Expilly fit alors placer à l’entrée du chœur les immenses statues de Notre-Dame et de saint Corentin qu’on peut voir aujourd’hui à l’église de Penmarc’h.

Dans la nuit du 8 au 9 décembre 1793, Daniel Sergent maître menuisier, et Dominique Mougeat sous-diacre (assermenté), sacristain de la cathédrale, prirent le Bras de saint Corentin et les Nappes des Trois Gouttes de Sang, traversèrent la rue Neuve, le chemin de Pen-ar-Stang et transportèrent leur pieux larcin au presbytère du Petit-Ergué ou Ergué Armel ils le confièrent au prêtre constitutionnel Claude Vidal, mais en réalité ce fut le très catholique et très vénérable maire M. Loëdon qui veilla sur le dépôt à lui confié. Daniel Sergent et Dominique Mougeat avaient été bien heureusement inspirés, car trois jours après, un hideux personnage nommé Dagorn[1] profanait odieusement la cathédrale, criblait de balles les tableaux, brisait les statues, violait les tombeaux et brûlait sur le champ de bataille un immense amas de débris amoncelés. Après les événements de Thermidor (28 juillet 1794), les catholiques et les constitutionnels crurent un instant au retour de la liberté religieuse et Daniel Sergent alla reprendre au Petit-Ergué le Bras de saint Corentin et les Trois Gouttes de Sang ; lui-même fit deux châsses en bois sculpté et mouluré et c’est dans ces pauvres reliquaires qu’il les restitua à la cathédrale de Quimper, la veille de la fête de saint Corentin, 11 décembre 1795 cette restitution fut faite au clergé schismatique. Les deux châsses furent portées en procession le lendemain dans la pauvre cathédrale dépouillée, puis on les plaça dans l’église à l’endroit où elles restèrent, bien négligées, jusqu’en 1821 ou 1825 les trois évêques qui se succédèrent après le Concordat ne s’occupèrent pas d’en reconnaître le contenu ; toutefois, Mgr Dombideau de Crouseilhes prouva qu’il admettait l’authenticité du Bras de saint Corentin, puisqu’en 1819 il permit d’en détacher une parcelle pour la paroisse de Plonévez-Porzay (parcelle révisée le 14 juillet 1855 par Mgr Sergent).

  1. Né à Rennes en 1758 successivement receveur des domaines à Plélan et à Carhaix, puis contrôleur à Lesneven où il se trouvait en 1789.