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un Ange avoit suppleé à ce défaut & allumé la lampe de l’Abbé, lequel embrassa tendrement S. Malo, reverant humblement en luy les merveilles de Dieu, le regardant non plus comme son disciple, mais comme un grand amy & favory de Dieu ; mais l’humble Malo referoit le tout aux merites & sainteté de son Abbé, & celuy-cy à la sienne, & passerent quelques heures en cette sainte contestation.

VI. Le lendemain, S. Brandan, ayant entendu tout le démeslé de cette fusée, voulut corriger les auteurs de cette méchanceté ; mais les trouvant obstinez en leur malice, & que plusieurs autres les supportoient, il resolut de les quitter & s’exposer plutost à la mercy des ondes de la mer, qu’à la malice de ses propres freres, & voir cependant si son absence et de celuy auquel ils portoient tant d’envie les amenderoit. Il s’embarqua avec S. Malo & 78. autres personnes, en dessein de trouver les Isles fortunées, fort renommées des anciens (ce sont les Canaries à la côte d’Ethiopie), pour y prescher la Foy aux Barbares & les reduire à la connoissance de Jesus-Christ. Ils furent sept jours voguans en pleine mer, à bon vent, sans voir aucune terre ; enfin, le septiéme jour, ils ancrerent à la rade d’une isle, où ils mirent pied à terre & y séjournerent quelque peu & se préparerent pour suivre leur route ; mais un Ange leur apparut & leur fit commandement de s’en retourner en leur pays ; à quoy ils obéïrent et leverent les ancres, dresserent les voiles & tournerent leur prouë vers le septentrion ; &, continuans leur course, ils se trouverent le propre jour de Pasques, en mer, & eussent bien desiré aborder quelque Isle ou coste, pour celebrer les saints Mysteres & ne demeurer sans Messe un tel jour. Dieu leur octroya leur desir : car ayans découverts une forme d’isle (ce leur sembloit), ils y descendirent, dresserent un Autel, & y fut célébrée la sainte Messe ; mais, sur le point du Pater noster, toute cette isle vint à se mouvoir de telle impétuosité, qu’un chacun cherchoit à se sauver dans le vaisseau le plûtost qu’il pourroit : saint Malo voyant ce desordre, les rappela, les asseurant qu’il n’y avoit aucun danger ; &, de fait, l’isle ne trembla plus, ny ne se remua, jusqu’à ce que, la Messe estant finie, & tous estans montez dans le vaisseau, ils reconneurent que ce n’estoit pas une isle, mais un poisson & beste marine, qu’on nomme baleine, laquelle commença à sauter & gambader par la mer ; ce que voyant toute la compagnie, ils remercierent Dieu de ce qu’il les avoit délivrez de ce danger & faits dignes de participer, ce jour, aux Sacro-Saints Mysteres de la Messe (3).