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vertueuse dame, nommée Darval, de maison non moins illustre que la sienne, avec laquelle il vêcut jusques à un âge auquel ils étoient hors d’espérance d’avoir d’enfans, selon le cours ordinaire de nature ; mais Dieu, prenant pitié d’eux, leur donna cét enfant, que Darval mit au monde au 67. an de son âge, & de Nostre Seigneur l’an 502. la vigile de Pasques, & fut, le même jour, baptisé par l’Evêque de Guic-Kastel, & tenu sur les sacrez Fonds par ce grand personnage S. Brandan, que nos Bretons appellent Sant Brevalazr, lequel luy imposa le nom de Malo ou Machutes. On remarque qu’à même jour nâquirent, en diverses contrées de l’Isle, trente autres enfans, qui furent, depuis, grands Personnages & grands serviteurs de Dieu.

II. Ayant atteint l’âge de douze ans, il fut envoyé à l’écolle au Monastere de S. Brandan, son parrain, qui prit un soin particulier de l’instruire, parmy les autres écolliers qu’il avoit en pension, lesquels S. Malo surpassoit en toutes choses. Ses delices, c’étoit l’Oraison, laquelle il n’interrompoit que pour vaquer à ses livres ; &, dès qu’il commença à entendre le latin, il avoit continuellement la Sainte Escriture devant les yeux ; &, encore qu’il leût, par fois, les livres des poëtes & philosophes Payens, il ne se laissoit neanmoins pas emporter à leurs opinions, préferant la science des Saints à la vaine Philosophie des sages du monde. Il se portoit de telle ferveur & contention d’esprit à l’Oraison & à l’étude, que la vehemence de sa ferveur paroissoit en son exterieur ; car le froid estant aigu & vehement en cette Isle Septentrionale, lorsque ses condisciples, au sortir de l’Église ou de la classe, paroissoient tous morfondus & transis du froid, il paroissoit gay & bien coloré, sans se vouloir approcher du feu, tant estoit vehemente la flamme du divin amour qui brûloit en son cœur.

III. S. Brandan ayant donné congé à ses disciples, une aprés-dînée, saint Malo s’en alla promener sur le bord de la mer avec ses condisciples ; &, pendant que les autres se divertissoient & prenaient leur recreation, il se retira à part dans la gréve, & se jetta sur un faix de goësmon & s’y endormit d’un sommeil si profond, qu’il n’entendit le bruit & croulement que faisoit la mer en son montant ; les autres enfans qui virent la mer monter quitterent le rivage & s’en retournerent au Monastere, sans penser à Malo, lequel, en peu de temps, fut de toutes parts environné de mer, sans que, toutefois, elle l’osast toucher ny moüiller ; mais, à mesure qu’elle croissoit, elle haussoit, comme une petite isle, ce gravier sur lequel étoit saint Malo, qui, s’étant éveillé, jettant les yeux de toutes parts, n’apperçeut aucun de ses compagnons, &, se voyant de tous costez environné de mer, s’écria : « ô Mon Dieu ! où suis-je ? soyez-moy en ayde. » Les autres enfans estans arrivez au Monastere, enquis de saint Brandan qu’estoit devenu Malo, & n’en pouvans donner nouvelles certaines, il se transporta sur le rivage, fort triste & déconforté, &, ne le pouvant apercevoir, l’appella plusieurs fois ; mais rien ne luy respondant, il s’en revint au Monastere bien triste, & veilla toute la nuit dans l’Église, priant Dieu, de grande ferveur & affection, qu’il luy plût manifester en quel estat estoit son cher filleul Malo.

IV. Pendant qu’il estoit en la ferveur de son Oraison, un Ange luy apparut & l’asseura que, non seulement l’enfant estoit hors de tout danger, mais encore que Dieu avoit, pour sa conservation, creé une isle nouvelle. S. Brandan fut grandement consolé de ces nouvelles, &, le lendemain matin, il alla au rivage de la mer & vit cette motte ou tertre de terre flottant sur l’eau, & S. Malo dessus qui loüoit Dieu ; il s’approcha le plus prés qu’il pût du Saint & discourut avec luy de cette merveille ; puis, tous deux rendirent graces à Dieu : S. Malo pria son maistre S. Brandan de luy permettre de demeurer, le reste de la journée, dans cette isle miraculeuse, & demanda son Psaultier ou Breviaire, pour dire son service ; S. Brandan ne le luy pouvoit faire tenir, parce qu’il y avoit trop grande distance entre le rivage & l’isle, mais S. Malo luy dit qu’il ne craignit point de le