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LA VIE DE S. KÉ.

Hildrech ; &, comme il s’entretenoit avec ses confrères, il entendit la voix d’un homme, sur le bord de l’eau, qui crioit à un autre, qui estoit sur le rivage opposite, « s’il n’avoit pas veu ses vaches qu’il avoit égarées depuis quelques jours ? » « Ouy, répondit, l’autre, je les vis hier à Rosené, environ les trois heures. » Saint Ké, oyant parler de Rosené, remercia Dieu & descendit sur la grève de ce bras d’eau, laquelle, depuis, fut nommée, en langage Breton Walois, Krestenn-ké, c’est à dire, grève de S. Ké, où, ses disciples ayans soif, il frappa un rocher, qui estoit là auprès, & en fit sortir de l’eau en abondance, de laquelle les malades, beuvans avec foy, reçoivent la santé par les mérites de saint Ké.

III. Ils passèrent ce bras de mer & entrèrent en une épaisse forest, où la cloche que le Saint portoit commença à sonner, ce qui luy fit connoistre que c’estoit le lieu où il se devoit arrester, dont il remercia Dieu ; &, ayant défriché ce lieu, il y édifia une petite Chapelle &, auprès, de petites Cellules pour soy & ses confrères, avec lesquels il vaquoit, jour & nuit, à Prieres & Oraisons, se sustentant du labeur de leurs mains & des aumônes qu’on leur donnoit. Il y avoit, prés de ce lieu, un beau Chasteau, nommé Gudrun, dans lequel demeuroit un Prince, nommé Theodoric, homme perdu et déterminé, lequel, chassant, un jour, en la forest de Rosené, poursuivit un cerf jusques en l’Hermitage du Saint, où il s’estoit jetté & caché ; &, entrant de furie dedans, il s’enquit qu’estoit devenu le cerf ; S. Ké ne voulut le luy dire, dont il entra en telle colère, qu’il fit amener en son chasteau 7. bœufs & une vache qui avoient esté donnez au Saint & dont il se servoit pour tirer à sa charruë ; mais, le lendemain, il se présenta au Saint pareil nombre de cerfs, qui se laissèrent attacher à la charruë & achevèrent de charruer son champ, lequel, en mémoire de cette merveille, fut nommé, en Breton Walois, Guestel Gnervet, c’est à dire, le Champ des Cerfs[1], &, depuis, ces animaux servirent domestiquement S. Ké & ses Confrères en cét Hermitage.

IV. Theodoric ayant veu de ses propres yeux ces cerfs, attelez à la charrue, faire l’office des Bœufs qu’il avoit ravis au serviteur de Dieu, n’en fut en rien émeu ; &, lors que le Saint l’alla prier de les luy rendre, il le frappa au visage, si rudement, qu’il luy fit tomber une dent de la bouche, ce qu’il porta patiemment & alla se laver la bouche en la fontaine de son Hermitage, dont l’eau, beuë avec foy & confiance en l’intercession du Saint, a retenu la vertu de guerir du mal des dents, &, encore à présent, les Walois (quoi qu’Heretiques) y ont recours. Quant au cruel Theodoric, Dieu le punit des excès qu’il avoit commis à l’endroit de S. Ké, car il fut frappé d’une dangereuse maladie, qui luy ouvrit les yeux & le fit rentrer en soy-mesme ; il fit appeler saint Ké, luy demanda humblement pardon, restitua les bœufs & amplifia son Hermitage de douze arpens de terre, quoy fait, le Saint pria pour luy, & il fut gueri ; mais, quelque temps après, estant à la chasse, il tomba de cheval & se rompit le col. Ayant receu le don de Theodoric, il bastit un Monastere, assez ample, au lieu de son IIermitage, & y receut un bon nombre de Religieux, & puis se résolut de passer la mer & d’aller en la Bretagne Armorique.

V. Il prit congé de ses confrères & leur nomma un Superieur pour tenir sa place, puis s’alla embarquer au port de Landegu, & envoya de ses disciples chez un riche marchand, qui demeuroit près de ce port, luy demander, par aumône, quelque peu de pain, de bisquit, ou autres vivres, pour ayder à leur voyage ; cet homme ingrat et mal appris, au lieu de leur faire l’aumône, ou, à tout le moins, les renvoyer doucement, se moqua d’eux & leur dit « Allez (mes amis) voilà une grosse barge de bled sur le bord de mon aire ; si vous la pouvez emporter toute entière, je vous la donne. » Ils s’en retournèrent avec cette réponse vers S. Ké, qui ne répondit que beng soyt Dieu, &

  1. Novale cervorum. – A.