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maritimes le gastoient ; saint Hydultus en commit la garde à ses écolliers, lesquels alternativement le gardoient. Une nuit que S. Paul estoit en faction, il s’endormit &, pendant son sommeil, les oyseaux gasterent tout le bled, dequoy s’estant apperceu le matin, il fut si honteux que, de deux jours, il n’osa se présenter devant son Maistre. Le troisième jour, devisant avec ses condisciples dans le champ, voilà venir les mesmes oyseaux à leur picorée ordinaire ; S. Paul, les voyant fondre dans le champ, dit à ses condisciples : « Mes freres, prions Nostre Seigneur qu’il nous fasse raison de ces oyseaux, qui nous ont porté si grand dommage. » Les enfans se mirent à genoux & firent leur priere ; puis, environnans le champ, les amasserent en une bande & les menerent au Monastere, comme un troupeau de brebis, &, entrans dans la cour du Monastere où l’Abbé saint Hydultus se promenoit, saint Paul luy dit : « Mon Maistre, voicy les larrons qui ont gasté votre bled ; j’ay prié Dieu qu’il m’en fist raison, & voicy que je vous les presente, afin que vous les punissiez comme bon vous semblera. » Le S. Abbé, tout estonné de ce miracle, leur donna sa benediction & ainsi s’envoleront vers la Mer, & commença à regarder S. Paul, non plus comme son disciple, mais comme un saint & amy de Dieu.

IV. Ayant demeuré dix ans au Monastere de saint Hydultus, il se sentit puissamment touché du desir de vivre solitairement ; il en confera avec son Maistre, lequel, reconnoissant que ce desir venoit de Dieu, luy conseilla de poursuivre son dessein. Ainsi Paul prit congé de son Maistre & de ses condisciples, &, le quinziéme an de son âge, se retira en un lieu desert & écart, prés d’une métairie qui appartenoit à son Pere, &, s’estant associé douze personnages portez de mesme desir & intention, y édifia une petite Chappelle & treize petites Cellules, éloignées quelque peu l’une de l’autre ; ce fut le premier Monastere qu’il bastit, l’an 507, auquel il mena une vie si austere & sainte, que, dans peu de temps, tout le pays circonvoisin y affluoit pour le consulter & se recommander à ses saintes prieres. Il estoit simplement vestu & ne beuvoit ny vin ny biere, ny autre boisson que de l’eau ; sa nourriture ordinaire estoit du pain sec & un peu de sel ; les Dimanches & festes solemnelles, il prenoit sa réfection avec ses douze Confreres & lors, par compagnie, il mangeoit quelque peu de legumes & de poisson ; mais de chair jamais il n’en mangea, depuis qu’il fut au Monastere. Ayant atteint l’âge de vingt & deux ans, il fust consacré Prestre (ayant préalablement receu les autres Ordres), par l’Evesque de Guic-Kastel (les Anglois l’appellent à present Winchester) son Diocesain, & chanta Messe, l’an 514, & ses douze compagnons aussi.


V. En ce temps, le Roy Marc, l’un des plus puissans Roys de l’Isle, inspiré de Dieu, se voulut convertir à la Foy de JESUS-CHRIST, lequel, informé de l’admirable Sainteté de Paul, l’envoya querir, avec ses douze confreres, pour le Catechiser & toute sa Cour. S. Paul fut bien mary de quitter sa chere solitude ; mais l’importance d’une si notable conversion fist qu’il postposa sa consolation particuliere à la Gloire de Dieu & augmentation de la Religion Chrestienne[1]. Le Roy le receut fort gracieusement & fut par luy instruit & Baptizé, comme aussi les Seigneurs & Princes de sa Cour, & travaillerent si bien, que, dans deux ans, toutes les quatre Provinces du Royaume furent entièrement converties & les affaires de la Religion bien établies par tout. Le Roy le voulut faire sacrer Evesque de la Ville Capitale ; mais il n’y voulut consentir & commença à penser à sa retraitte, &, en ayant conferé avec Dieu par l’Oraison, un Ange luy apparut & commanda de s’embarquer avec ses Confreres, & qu’il seroit guidé de Dieu en un pays, où il feroit un grand fruit aux Ames. Le Saint en confera avec ses

  1. La religion chrétienne n’avait point à bénéficier d’une augmentation en cette circonstance ; Albert Le Grand n’a point saisi qu’il s’agissait ici d’une conversion de la vie trop naturelle à une vie plus parfaite, car il est certain que le roi Marc était déjà chrétien ainsi que tout son entourage. À M. T.