Page:Le Goffic - L'Âme bretonne série 2, 1908.djvu/85

Cette page a été validée par deux contributeurs.

marche dans leur direction, les trois croix du calvaire de Pontchâteau, toujours visibles, percent les brouillards les plus épais et ne cessent de planer lumineusement sur le paysage, comme si elles participaient des vertus mystérieuses de ces croix de flamines « environnées de magnifiques étendards » qui descendirent, raconte la tradition, le 11 janvier 1673, sur le sommet de la lande où le bienheureux Jean de Montfort, quelques années plus tard, devait jeter les fondements de sa Jérusalem bretonne, « représentation en trois parties des Mystères douloureux, joyeux et glorieux du Rosaire », immense fresque plastique dont il n’y a encore d’achevé, après deux siècles, que les Mystères de la passion et les Mystères joyeux…

On peut regretter que M. Geffroy, quand il errait, aux portes de Guérande, sur les confins désolés de la Grande-Brière, n’ait pas poussé jusqu’à Pontchâteau. La Jérusalem bretonne valait bien un pèlerinage. Et je sais bien que la Bretagne est un monde et que c’est miracle déjà que l’auteur l’ait pu faire tenir dans un in-quarto de 438 pages. Il en a dit du moins tous les aspects essentiels ; il a fixé en traits inoubliables le visage de la charmeuse et triste province, un visage d’aïeule « qui n’a pas de pareil, dit-il, pour l’amertume résignée, la gaieté fine, la douceur héroïque. »

Ce visage, je l’ai retrouvé chez beaucoup de vieilles Bretonnes, mais rarement plus fidèle et d’une expression plus accomplie que chez une émigrée octogénaire dont les beaux yeux vifs, la grâce et le sourire disaient l’éternelle jeunesse intérieure. Elle avait quitté depuis son mariage, depuis très longtemps, Plougonven, la