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pitié que c’est de mourir loin des siens. Il jette sur le papier les vers comme ils lui viennent, comme ils lui chantent plutôt, car la musique chez lui est inséparable de la poésie. Il appelle cela du nom des navires qui ont sombré : Les Quatre-Frères et l’Ella. Il interprète sa complainte le soir même au Soleil d’or. Succès fou, inouï. Un vrai délire…

Sur les Quat’Frères et sur l’Ella,
Y avait cent soixante-dix-neuf gàs,
Qui sont coulés au fond en tas…

— Et voilà, terminait le bon Yann, comment je fus sacré « barde des matelots » un soir de 1889, en la trente-deuxième année de mon âge, sur les pentes de la montagne Sainte-Geneviève, dans une tabagie du Quartier Latin…

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Il y a des biographies qui en disent plus long sur une œuvre que toutes les analyses du monde et quand elles auraient cinquante-six pages de texte comme la préface du capitaine Jousselin. Celle qu’on vient de lire n’est-elle pas le meilleur commentaire des frustes et touchantes mélopées du « barde des matelots » ?

La Chanson des Cols-Bleus, non plus que les autres recueils de Yann Nibor, ne peut être séparée de son auteur : elle fait corps avec lui et on la jugerait mal si on ne la jugeait que dans sa lettre. Il faut évoquer par surcroît la forte carrure du barde, ses yeux d’un bleu de faïence neuve, son verbe, son geste, ses coups de hanche, toute cette mimique pittoresque, qui en est