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ont fini par n’être plus enregistrées par les interprètes de l’âme populaire que comme des événements de la plus désolante banalité :

Néman a néwé’n Plouec-Mór,
Met kant den yaouank èt fous an dour…

« Il n’y a rien de neuf à Plouec-de-la-Mer, — si ce n’est que cent jeunes gens sont allés au fond de l’eau. »

Tout simplement, il y eut, sans doute, de tout temps, des sinistres partiels en Islande et à Terre-Neuve : encore semble-t-il que les hécatombes collectives du genre de celles des Cousins-Réunis de la Morue, de l’Angler et du Jules Jean-Baptiste fussent beaucoup plus rares autrefois qu’aujourd’hui. La catastrophe du Rocabey restait une exception, et il est vrai que l’industrie moruyère n’avait pas pris tout son développement. Aussi l’émotion fut-elle vive sur la côte bretonne quand on apprit que deux navires malouins qui rapatriaient des équipages saint-pierrais, les Quatre-Frères et l’Ella, avaient sombré corps et biens en cours de route. Fils de terreneuvas, Yann Nibor ne pouvait demeurer insensible au deuil qui frappait ses compatriotes : la nouvelle de la catastrophe déclancha en lui le poète, si j’ose dire. Aux premières lignes du journal qui la relatait, son sang s’échauffe : ce ne sont plus les vers des autres qui bourdonnent dans sa tête, c’est une complainte inentendue jusqu’alors, une sorte de thrène populaire, de lamentation assonancée où, dans leur balbutiant idiome de primitifs, les « perdus » de la mer crient la grande