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blement. Ah ! les scènes qu’on ne saura jamais et qu’on devine, le tragique intense de ces agonies collectives, le drame de ces dernières minutes à fond de cale ou sur le pont, en proie à l’horreur anarchique d’une cohue de déments !…

Si encore les navires qui servent au rapatriement des pêcheurs étaient tous solides et de bonne cote ! Mais la Morue, le Jules-Jean-Baptiste, perdus corps et biens avec leurs équipages et leurs passagers, comptaient déjà une vingtaine de campagnes ! La coque du dernier, avant de quitter le Barachois, avait même dû être réparée. Notre excellent confrère du Salut, M. F. Bazin, fait justement remarquer avec quelle insouciance à Saint-Pierre — et l’on peut ajouter, hélas ! presque partout — sont délivrés les permis de navigabilité. « Les capitaines visiteurs se bornent à poser, du haut du quai, aux équipages et aux passagers, cette question : « Êtes vous bien, les gars ? » Et comme les gars n’ont rien de plus pressé que de rentrer en France, ils répondent généralement oui à tue-tête, et le bateau part sans avoir été l’objet du moindre examen ». Voilà comment l’Angler, vieux lougre américain de 60 tonnes acheté en 1895 au Canada, qui, par parenthèses, ne se défait de ses navires que quand ils sont hors de service, put appareiller de Saint-Pierre avec 10 hommes d’équipage et 56 passagers des quartiers de Saint-Malo, Dinan, Cancale, Paimpol et Binic. En l’espace de quelques années, dix navires rapatrieurs à ma connaissance ont péri dans les mêmes conditions. Et je dois en oublier. Telle est en effet la fréquence des catastrophes qu’elles