Page:Le Goffic - L'Âme bretonne série 2, 1908.djvu/117

Cette page a été validée par deux contributeurs.

comprendre qu’il ait paru si vieux à Mme Renan mère et à Michelet lui-même. Peut-être lui arriva-t-il comme à ce héros de Balzac qui « avait eu quarante ans de bonne heure » et n’avait pas eu la prudence de s’y tenir. Sa figure, son air étaient plus antiques que son état-civil. Les épreuves morales et la pauvreté avaient déteint sur lui. Célibataire, sans famille et sans amis, il se mourait lentement de la fièvre dans sa boutique solitaire. Ce fut là que Michelet le vit. Il se ranima pour déclamer au grand historien « quelques vers bretons sur un rythme emphatique et monotone ». Nous ne connaissons point la date de la visite de Michelet. Elle fut antérieure, de toute façon, à la publication de son Histoire qui est de 1833. Le Duigou devait se traîner encore pendant cinq ans. Vraisemblablement une sénilité précoce, ajoutée à la fièvre qui le minait, l’empêcha de continuer jusqu’au bout son commerce, puisque c’est à l’hospice public qu’il trépassa dans la nuit du 21 novembre 1838. Il n’avait que cinquante-six ans.

Renan, comme on voit, tout en respectant l’essentiel du bonhomme, n’a pas laissé que de négliger ou de corriger certains traits de sa physionomie, curieux assurément, mais qui avaient l’inconvénient de déranger l’image qu’il s’en était formée. On retrouve là cette manière délicate et choisie, cet art des nuances et des demi-teintes où excellait l’illustre auteur des Souvenirs d’enfance et qui donne à ses évocations du passé un charme si vaporeux. Et l’on y peut saisir aussi sur le vif, dans leur application à un personnage contemporain, les procédés ordinaires de