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prié Gwennou de ravauder un ancien mystère du même nom, de qui la langue laissait fort à désirer. Gwennou se mit au travail ; mais la besogne s’accommodait mal avec ses goûts. C’est un esprit fort alerte et tout primesautier. On lui avait donné un mois pour son ravaudage : il nous revint au bout du mois avec une œuvre de 7.000 vers, tout entière de sa façon et où il n’y avait plus rien de l’ancien mystère.

J’ai voulu présenter mes hommages à l’auteur de cette belle prouesse poétique. Il habite Vitry-sur-Seine, dans la banlieue de Paris. Une campagne rase, plantée de tessons de bouteilles, mène à l’antique église abbatiale près de laquelle s’abrite le petit toit de Charles Gwennou. Un jardinet précède la maison, et tout à coup, la grille franchie, l’œil s’accroche à une demi-douzaine de couronnes mortuaires disposées en fer à cheval sur la façade et qui la font ressembler à un portique de mausolée. L’intérieur de l’habitation est plus déconcertant encore : dans l’antichambre, dans l’escalier, dans la salle à manger, partout des couronnes mortuaires. Et j’ai une petite gêne, je le confesse, quand je m’asseois à la table hospitalière du barde, de sentir autour de moi toute cette décoration funèbre et de ne pouvoir lever les yeux sans lire dans l’entrelacs des fleurs artificielles : « À ma cousine. — À mon enfant, — À mon père. — À notre tante. — À ma belle-mère. » Quelle catastrophe inouïe a pu frapper ainsi cette famille et la priver brusquement de la totalité de ses membres ? N’étaient la gaieté de mes hôtes et le vin qui rit dans les cristaux, je me croirais dans un de ces karneliou, dans un de