Page:Le Goffic - L'Âme bretonne série 1, 1902.djvu/283

Cette page a été validée par deux contributeurs.

trice ou l’homme déguisé en femme qui représentait la Vierge ».

J’ignore si les acteurs du mystère tinrent compté de ces observations. Ce qu’il y a de sûr, c’est que ni l’interdit de l’Église en quelques endroits, ni ses réserves, en d’autres, non plus que les trois ordonnances de 1712, de 1732 et de 1753, ne parvinrent à déraciner le goût du théâtre chez les paysans bretons. L’orage passé, le vieil instinct héréditaire, comprimé, persécuté, nullement affaibli, se redressa comme par enchantement. C’est qu’au plus fort de la tourmente le théâtre indigène, proscrit de la place publique, avait trouvé un refuge au foyer de la famille. La nuit venue, dans les longues veillées d’hiver, laboureurs et pâtres se serraient sous le chambranle de la vaste cheminée. « Alors, dit Luzel, le tad-coz (l’aïeul) tirait pieusement du fond du vieux bahut sculpté quelque antique manuscrit, recouvert d’un parchemin jauni et crasseux, précieux héritage légué par les pères et pour lequel la famille avait une grande vénération, car elle le croyait doué de certaine puissance inconnue, d’une vertu secrète, d’où dépendait ou son bonheur ou son malheur. Il l’ouvrait gravement, se signait au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, puis déclamait d’un ton solennel un acte ou deux de la Passion de notre maître Jésus, de sainte Tréphine ou de toute autre œuvre populaire du même genre. » Parfois un des réveillonneurs, compagnon du tad-coz aux beaux âges du théâtre breton, lui donnait la réplique ; les couplets alors, sur un rythme de plain-chant, déroulaient leurs grandes ondes alternantes ; une atmos-