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Hippolyte Lucas faisait son droit à Rennes, sa ville natale. Il rencontra un jour, dans un cabinet de lecture, une jeune veuve de la ville, riche, titrée, dont la grâce et l’esprit le conquirent du premier coup. Cette rencontre lui suggéra le plus ingénieux des biais pour faire part de ses sentiments à la belle liseuse : sachant qu’elle guidait volontiers son choix sur le sien et qu’elle empruntait fréquemment les livres que lui-même avait lus, il y soulignait insidieusement les passages les plus passionnés ; parfois même il lui faisait prêter par le libraire, devenu son complice sans le savoir, des livres qui lui appartenaient et qu’il donnait à ce dernier comme éminemment propres à délecter sa cliente. On peut voir encore aujourd’hui, dans la bibliothèque du poète, religieusement conservée par son fils, un petit volume relié en maroquin vert, qui servit de truchement entre les deux liseurs. C’est un André Chénier de l’édition Latouche. Nombre de vers y sont soulignés au crayon ou marqués d’un astérisque, comme cet insinuant et captieux alexandrin de l’élégie Ve :

Sois tendre, même faible, il faut l’être un moment.

La jeune femme, paraît-il, mit quelque temps à s’apercevoir des attentions dont elle était l’objet. Le jour qu’elle les connut, elle ne fut pas bien longue à en deviner l’auteur. Il ne semble point qu’elle lui en ait gardé de ressentiment ; mais, se piquant au jeu, si elle souligna certains passages des livres prêtés, ce fut toujours ceux qui parlaient au cœur le langage du bon goût et de la saine modération. À ces inno-