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— rien n’est plus lamentable ni plus digne de pitié que le Breton séparé des siens et jeté brusquement dans un milieu étranger.

Henriette Renan avait vingt-quatre ans quand elle arriva à Paris. Une amie de sa famille lui avait trouvé une place de sous-maîtresse dans une petite institution. « Elle partit, dit son frère, sans protection, sans conseils, pour un monde qu’elle ignorait et qui lui réservait un apprentissage cruel. » Elle tomba aussitôt dans une profonde nostalgie. C’est l’ordinaire de ces isolées de l’émigration. Tout est bouleversé en elles. Le mal du pays les prend au premier pas. « Un écrivain, qui a étudié de près les modifications apportées dans la race par ces brusques déracinements, M. J. Lemoine, raconte qu’à l’établissement des Sœurs de la Croix, à Paris, rue de Vaugirard, qui place chaque année six mille domestiques, dont la moitié sont Bretonnes, la plupart de ces malheureuses filles, pendant les huit jours qui suivent leur entrée en service, reviennent au parloir pleurer des heures entières et demander avec instance qu’on leur donne les moyens de reprendre le chemin du pays. Il se passa chez Henriette Renan quelque chose de semblable, sinon de plus douloureux encore :

« Ses débuts à Paris, dit son frère, furent horribles. Ce monde de froideur, de sécheresse et de charlatanisme, ce désert où elle ne comptait pas une personne amie, la désespéra. Le profond attachement que nous autres Bretons portons au sol, aux habitudes, à la vie de famille, se réveilla avec une déchirante vivacité. Perdue dans un océan où sa modestie la fai-