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LA MER MORTE

Le lac Asphaltite s’étend dans un pays nu, sauvage, couturé par d’anciens cataclysmes. Ses flots sont transparens, mais lourds : le vent ne peut pas les soulever. Ils sont si amers, que rien ne peut y vivre, pas même une herbe ; si tranquilles, qu’on appelle cet étang la mer Morte. C’est un cadavre d’océan qui n’a pas de quoi nourrir un ver. L’air qui l’environne est infect : des bouffées de vapeurs et de fumée s’échappent parfois de ses ondes, et des feux souterrains en crevassent de temps en temps les berges. Quand le soleil s’y penche, et qu’on regarde au fond, on y aperçoit des temples, des palais, des idoles, mais en ruines, comme tout ce qui se cache dans les tombeaux : gravas empoisonnés d’un turbulent empire, démolitions immobiles qui dorment dans un sépulcre aride. Tout cela ressemble beaucoup au cœur de l’homme, quand, après l’orage ou l’éruption des passions, l’indifférence s’y est couchée comme un lac. Ses flots sont lourds et amers, et rien n’y peut plus vivre. Quelques souvenirs tourbillonnent parfois à sa surface, et quelques rêves d’un vieil incendie viennent, jusque sur nos fronts, rouvrir ou plisser nos cicatrices. Cette mer