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tution aux commis-voyageurs qui n’ont ni son passé ni son histoire, et surtout pas son logis légendaire.

Je disais donc que la Tarasque n’était rien à côté de ce petit animal, parce qu’elle ne mangeait que des éléments matériels et comestibles, et que si vraiment elle poussait le crime jusqu’à dévorer des fils d’Adam, elle ne mangeait que leur corps et laissait leur âme à qui de droit, Dieu ou diable, sans intervenir dans la répartition des apprentis anges ou démons. De chute en chute, l’honnête homme, le père tendre et fier en vient à accueillir comme ami un homme qui a de l’argent, mais non seulement il n’a rien d’autre avec, mais il est l’usurier qui suce le pays ; quoique aussi usé de corps que d’esprit, le désir de se relever dans l’opinion et une dernière flammèche du cœur l’entraînent dans un rôle d’amoureux et de prétendant.

L’enfant élevée dans cette lutte de l’expédient à court terme contre le fléau sans rémission, bercée par des promesses qu’elle sait ne devoir jamais se réaliser, et dont l’auteur lui-même, son père, n’est plus suffisamment dupe pour rester strictement honnête, est écœurée par le désordre d’une maison qui croule, d’une mère qui lâche tout ; lasse de s’asseoir devant une nappe sale, le cœur brûlé à la rage de privations non acceptées, altérée de cette soif de bien-être et de plaisir qu’on puise dans leur absence, elle se jette dans cette issue offerte à ses appétits mauvais, au plaisir et à la liberté, et, c’est par cette large porte, ouverte par un si petit traître, que s’enfuient, l’un suivant l’autre, une longue suite de bonheurs et de vertus. À la fois martyr et bourreau, le vieux vigneron les suit, terrassé au moral comme au physique par la bête qui, en langage savant, s’est d’abord appelée Ryzaphis vastatrix, puceron des racines dévasteur, puis qui, par analogie avec le phylloxéra follicole du chêne, est devenue plus improprement Phylloxéra vastatrix. Je dis, improprement, parce que ce nom signifie dessècheur de feuilles, désignation qui, si elle s’applique justement au phylloxéra de cet arbre, vivant sous les feuilles, ne convient pas du tout au phylloxéra français qui vit presque exclusivement sur les racines.

Sortons du roman pour dire comment en cette triste affaire la science est venue au secours de la pratique affolée et vaincue. Cela se passait en 1868. On voyait se produire des taches affaiblies dans les vignes. Quelques vieux avaient remarqué, sans y attacher une grande importance, que depuis quelque temps les vrilles étaient moins fortes et moins nombreuses, qu’en un mot, en bien des endroits, il était devenu beaucoup plus facile de traverser les vignes croisées.