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à huit cent mille francs. L’hôtel en vaut de deux à trois cent mille.

— N’est-ce pas fort beau, mon père ? s’écria Bernard, qui avait craint tout autre chose.

Le comte secoua la tête :

— Tu trouves ?… As-tu calculé ce qu’il nous fallait annuellement pour vivre, à ton grand-père, à toi et à moi ?

— Je ne puis guère l’évaluer.

— Sans doute… Mais je vais te le dire, moi, je vais te le dire tout de suite. Nous dépensons à nous trois, bon an, mal an, aux environs de 40 000 francs.

— Oh ! mon père !

— Cela t’étonne ?… Et sans faire de folies ! Que tu es neuf, mon pauvre Bernard, sur les questions d’argent. Réfléchis donc que cela ne fait pas une grosse somme pour chacun de nous.

— Oui, mais la vie commune…

— Je t’y attendais. La fameuse vie commune ! c’est encore une illusion, mon cher enfant, comme tant d’autres belles choses. Quoique nous vivions ensemble, je te prie de remarquer que nous avons chacun nos domestiques, chacun notre appartement, chacun notre bottier… et chacun notre tailleur ! que diable ! Il n’y a pas de vie commune qui puisse nous en empêcher.

Il y eut instant de silence. Bernard semblait chercher à s’expliquer un point qu’il ne comprenait pas. Le comte griffonnait des chiffres sur une feuille de papier. Au dehors, le soleil luisait, un beau soleil d’automne. On n’entendait aucun bruit dans la maison. Sans doute le marquis faisait une petite sieste. La pendule de marbre noir, surmontée d’un grand Socrate en bronze sonna trois heures.

— Oui, dit le comte, comme s’il venait de trouver une solution, il faut, de toute nécessité, que ta femme nous apporte au moins un million de dot. Il serait même impossible qu’il en fût autrement.

— Un million !

— Si elle a moins, c’est la misère.

— Oh ! par exemple, mon père, s’écria le jeune homme en se levant sous le coup de l’étonnement et de l’émotion.

— C’est bien simple. Ce n’est pas parce qu’une femme entrera dans la maison qu’aucun de nous réduira son train, n’est-ce pas ? Au contraire. Eh bien ! fais le compte de ce qu’elle apportera avec elle de dépenses forcées, de réparations, de frais, de réformes de service, d’achat de corbeille. Crois-tu que je sois bien exagéré en doublant la dépense de notre budget annuel ?

— C’est énorme !

— Retranchons si tu veux quelques mille francs. Je te fais cette concession. Mais il faut songer aux enfants qui surviennent, aux