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Il entendait aussi que l’enfant tînt de lui certains usages auxquels il attachait importance :

— Il y a une manière de s’habiller qui sent la race comme il y a une manière de parler.

À défaut de choses plus sérieuses, il donnait à Bernard ce qu’il pouvait, et s’il eût eu plus, il l’eût encore dépensé sur ce petit être de prédilection. Bernard le savait si bien, qu’il avait, en dépit de sa modestie habituelle, la vanité, la fatuité de l’affection de son aïeul. En l’apercevant de loin sur la terrasse, il se disait de la meilleure foi du monde :

— Grand-père s’ennuie, puisque je ne suis pas là.

Mais, en grandissant, à mesure que le jeune homme se formait et que s’épanouissaient en lui de rares qualités morales, cette affection changeait de nature. Ce n’était plus la protection du vieillard sur l’enfant, c’était presque le contraire. Il y avait une sorte d’instinct qui avertissait le marquis que son petit-fils valait mieux que lui, était monté plus haut dans l’échelle morale, et que s’il n’avait plus rien à lui apprendre, il avait peut-être par contre quelque chose à en recevoir.

Du côté de Bernard, il y avait, à l’égard du marquis, un sentiment de délicatesse exquise. Jamais il ne se fût avoué que son grand-père eût besoin d’indulgence pour certains vides ou certaines faiblesses. Il ne voulait pas le voir ; il ne voulait connaître que la bonté proverbiale de M. de Cisay. Mais nul ne travaillait plus que lui à combler les vides et à combattre les faiblesses. Les rôles avaient changé. Le point d’appui maintenant, c’était Bernard.

En regardant son grand-père, du bout de l’allée, le cœur lui sauta.

— Il faut que je me fasse reconnaître, dit-il.

Et pour l’égayer plus vite, il se mit à chanter à pleine voix une vieille chanson que le marquis fredonnait souvent :

Si à mes genoux, Thérèse,
Si à mes genoux
Vous voyez des trous !
C’est à vos genoux, Thérèse,
C’est à vos genoux
Que je les fis tous !

M. de Cisay cessa d’abord de se balancer, puis il tourna la tête, reconnut la voix, aperçut Bernard à travers un taillis, et s’épanouit comme sous un rayon :

— Ah ! le polisson ! le voilà pourtant !