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rance, aiguillonné par l’hésitation de Bernard et par le trouble où il l’avait mis, Frumand poussa plus loin.

— Un mot encore, Bernard… Est-ce à Paris ?

— Indiscret !… Eh bien, non. C’est en province. C’est une provinciale.

— Provinciale !… Je ne t’en demande pas davantage.

— Mais…

— Non, non. Je sais tout ce que je voulais savoir. La province, c’est la France ! Paris, c’est l’étranger !… Puisque tu aimes en province, marie-toi, mon ami, et que Dieu garde ta postérité !

— Oh ! oh ! s’écria Bernard en riant, comme tu y vas !

— Eh bien ! quoi ? il n’y a pas de plus honnête conclusion ni de meilleure pour toi, mon cher vieux !…

Au même instant, quelqu’un qui accourait derrière eux, les rattrapa. Ils se retournèrent et reconnurent Mélinot qu’ils avaient l’un et l’autre oublié.

— Vous voilà ? dit Bernard.

— D’où viens-tu ? demanda Frumand.

— D’où je viens ? répondit le clerc de notaire essoufflé, mais de la kermesse, parbleu ! où je vous cherchais, où je vous attendais !

— Tu nous avais donc perdu dans la foule ?

— Mais ! oui. Et la réunion ! nous sommes en retard.

— C’est juste, dit Bernard avec son ton de bonne humeur. Voilà un garçon sérieux qui nous rappelle à la réalité des choses.

Frumand reprit :

— Encore cent pas et nous sommes rendus. Mais attends un peu, Bernard, que je fasse ta toilette !

— Quelle toilette ?

— D’abord enlève tes gants. Bien. Puis relève le col de ton pardessus et enfonce un peu dans ton gilet le nœud florissant de ta cravate.

— Mais, à quoi bon ! dit Bernard, tout en se laissant faire.

— C’est désolant ! murmura Frumand en se parlant à lui-même, il n’y a pas moyen de lui ôter son air. Voyons, passe-moi donc ton chapeau.

Il prit entre ses mains le joli feutre gris du jeune de Cisay, un feutre souple et d’une nuance fine, et il essaya de le bosseler un peu.

— Que fais-tu, que fais-tu ? criait Bernard.

— Je mets tes jours à l’abri… Maintenant, suivez-moi mes amis ! Mélinot et moi, c’est plus commode ; nous n’avons pas besoin de tant d’apprêts. Tels que nous voilà faits, le communard nous tient pour un frère.