Page:Le Correspondant 113 149 - 1887.pdf/671

Cette page a été validée par deux contributeurs.

escalader une scène, disparaître dans des coulisses, ou soulever des coins de tenture en se faufilant par-dessous. Des cris, des rires, des chuchotements, les phrases les plus baroques se heurtaient au passage. On les chargeait de commissions invraisemblables. On les voyait porter des objets inattendus.

— Raymond ! criait une voix désespérée, j’ai oublié ma perruque, la grosse perruque rousse ! va vite, c’est sonné !

Et Raymond revenait peu après apportant la perruque à bout de bras, à la grande joie des enfants, qui battaient des mains.

Plus souvent c’était un pot de rouge, une patte de lièvre, une boîte à poudre, que les commissaires faisaient passer aux acteurs. Puis, toujours à la besogne, ils revenaient au plus pressé des groupes, soulevaient des chaises, enlevaient des enfants par-dessus les têtes pour les placer ou les déplacer, recevaient beaucoup de réclamations et heureusement aussi beaucoup de sourires.

Dans les cas graves, il fallait en référer à la maîtresse de céans. On voyait alors le jeune homme à rosette rouge et or, ramenant à son bras une grande femme brune, vêtue d’une robe noire ouverte, étincelante de jais, ruisselante de diamants, très droite, très froide, ne lâchant jamais son éventail, et marchant avec des airs de reine. Mme Fulston avait dû être belle. On le sentait surtout à son air qui en était évidemment convaincu. Mais elle était devenue beaucoup trop forte, et ses grosses joues flasques, jointes à un nez courbé, à une physionomie impérieuse, lui donnaient un aspect souverainement désagréable.

— Elle se croit en or ! disait Frumand.

Pourtant, Mme Fulston, recevant chez elle, avait la prétention d’être aimable. Sa bouche se détendait dans une sorte de sourire, et elle faisait ce qu’elle pouvait pour s’empresser. Après s’être informée de la difficulté, elle envoyait un ordre, parlait haut, serrait la main à quinze ou vingt personnes, jetait un coup d’œil satisfait sur l’affluence des gens et s’éloignait tout d’une pièce, en reprenant sans le vouloir cet air gourmé des Américaines qui ont la prétention de singer les Anglaises.

D’autres jeunes gens plus habiles ou plus rompus à la vie mondaine, s’adressaient à Mlle Fulston. Ils allaient la chercher jusqu’à son comptoir, au milieu des vendeuses ; ils la conjuraient de venir à leur secours, et elle y consentait, très flattée sans qu’il y parût.

Mlle Georgina Fulston était une grande fille aux cheveux châtains. Certes, on ne pouvait pas dire qu’elle fut jolie et cependant elle n’était pas laide. Mais tous ses traits étaient exagérés ; son nez, assez droit, était trop fort ; quand elle ouvrait la bouche, c’était pour montrer de larges palettes d’ivoire ; la couturière s’évertuait