Page:Le Correspondant 113 149 - 1887.pdf/529

Cette page a été validée par deux contributeurs.

vailleur forcené, taillé en Hercule, aussi solide du cerveau que des jambes et résistant aussi bien au travail qu’à la course, il ne connaissait aucun ménagement, ni pour lui ni pour les autres. Ses idées étaient tout d’une pièce comme sa personne, et quand il les avait enfourchées, il ne les lâchait jamais. Plus mûr que son âge, il avait sa manière de voir, très personnelle, sur tout ce qu’il avait étudié. Ses aversions étaient à la hauteur de ses tendresses. Elles portaient sur les objets plutôt que sur les hommes, quoi qu’il ne fût pas accommodant quand il se croyait en droit d’en vouloir à quelqu’un. Mais elles étaient toujours liées à la cause chrétienne qu’il servait vaillamment, avec toute la fougue de ses convictions.

Son aspect révélait son caractère. Il était grand, d’une assez belle figure, mais taillée à coups de serpe, sans moelleux et déjà creusée par l’habitude de sentiments extrêmes qui lui bouleversaient les traits. Son front trop haut le paraissait encore davantage par la manie qu’il avait de se rejeter les cheveux en arrière et de les porter un peu longs. Ses yeux noirs, avec un fond de velours, étaient superbes au repos, mais perdaient beaucoup quand il les roulait dans la chaleur de la discussion. Ses narines, trop souvent dilatées, avaient grossi. Sa bouche, une large bouche d’orateur, ombragée d’une moustache noire, était peut-être ce qu’il avait le moins désorganisé. Elle était expressive, tantôt mince et tendue quand il lançait un sarcasme, tantôt puissante quand il affirmait et quelquefois très fine lorsqu’il consentait à s’adoucir jusqu’à la gaieté. Rien de meilleur et même de plus doux que son sourire. Sourire de lion, peut-être, qui ne perd pas la conscience de sa force, mais en tout cas, sourire pénétrant, persuasif, sourire captivant.

De Frumand, lancé à pleines voiles dans les œuvres catholiques, aimait tendrement Bernard de Cisay. Il l’entraînait, étant à la fois beaucoup plus puissant et beaucoup plus frustre que lui. Ce qui arrête les hommes ordinaires, crainte du ridicule, crainte d’aller trop loin, crainte de se mettre en avant, n’était, pour lui qu’un tremplin. Le paradoxe l’attirait, et s’il n’y cédait pas toujours, c’était par effort. Ce qu’il détestait, c’était l’homme inutile, le bourgeois enrichi, le propriétaire qui ne s’occupe de rien. Celui-là, qu’il fût grand seigneur ou boutiquier en retraite, pouvait être sûr d’encourir le mépris de Frumand.

— Ce sont eux qui nous perdent, et si la France agonise, c’est parce qu’ils ne veulent pas l’aider à se relever, les lâches, en lui tendant seulement le bout de leur doigt.

Parmi les gens inutiles, l’étranger qui vient manger ses millions en France avait surtout le don de l’exaspérer.