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mande, à la mode, au bon genre de la maison. Il avait aussi pour théorie que les enfants poussent tout seuls, comme des champignons, et que moins on les choye, mieux leur vaut.

Mais il avait affaire à forte partie. Le grand-père avait été pris au cœur par le dévouement de Rosa, il savait Bernard en sûreté entre les bras de cette femme, et… à tort ou à raison, il avait horreur des étrangères.

— Bah ! disait-il, je ne sais pas un mot d’allemand, et c’est grâce à cela que je ne suis pas une bête.

— Mais pourtant, c’est utile, plus tard ; à l’armée, par exemple…

— À l’armée, il n’y a besoin que de savoir se battre. Est-ce que le grand Condé avait appris le saxon ? Est-ce que Godefroy de Bouillon parlait le turc ?

Bref, le marquis resta vainqueur, et Rosa garda Bernard. Elle le garda même si bien, passant des fonctions de nourrice à celles de bonne, des fonctions de bonne au service de la lingerie et du service de la lingerie à une position de confiance qui lui faisait tenir les clefs de la maison, qu’elle devint avec Courtois le second pilier de l’hôtel de Cisay.

Comme de juste, ses préférences et ses attentions étaient toujours pour Bernard, aux soins duquel elle avait trouvé moyen de rester personnellement attachée. Au sortir du collège, il avait lui-même déclaré qu’il ne voulait être servi que par elle :

— C’est mon valet de chambre. Je n’en veux pas d’autre.

Et rien n’était drôle comme de voir la vieille nourrice, toujours coiffée de son bonnet bourguignon, rangeant la chambre de son grand enfant, brossant les vêtements, cirant les chaussures, et lui donnant son chocolat au premier coup de sonnette le matin.

Mais elle avait trouvé moyen de se rendre presque aussi indispensable pour le marquis. Courtois avait déclaré qu’il ne connaissait pas d’autre femme comprenant bien le service. Courtois lui confiait sans inquiétude le linge de son maître à blanchir et à repasser. Et comme Rosa était devenue veuve, on supposait dans la maison que, par la suite des temps, il pourrait bien y avoir une alliance… Seulement ils étaient tous deux si occupés de leur service, que c’était toujours partie remise.

Quant au comte, il n’avouait pas, mais il reconnaissait tacitement les mérites de Rosa et ne songeait plus à la discuter. Et comme Rosa, soit absence de rancune, soit habileté inconsciente, trouvait parfois le moyen de réparer les négligences des domestiques du comte ; comme, au fond du cœur, il savait qu’elle soignait mieux Bernard que ne le ferait jamais une machine, même perfectionnée ; comme il lui avait une sorte de reconnaissance :