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Il alla vers sa cuvette, se lava le visage à grande eau et revint près du comte en tenant à la main sa lotion de violettes.

Courtois entrait au même instant et se remettait à aller et venir dans la chambre.

Le comte, impatienté, cherchant un corps à prendre, murmura entre les dents :

— Changez donc de parfumerie, mon père ! C’est toujours la même chose !… Le siècle marche, que diable !…

— Non, non ! Jamais de mélange, cela gâte tout. La simple violette !… Une seule fleur,… un seul roi,… et une seule reine, ajouta-t-il en envoyant à la marquise un soupir à la fois mélancolique et fidèle.

Puis, sans lâcher son flacon, il ouvrit la fenêtre, s’y accouda et attira son fils près de lui.

Dans la grande allée, à cent pas, un cheval venait de partir au trot, monté par un jeune cavalier. Bernard quittait Chanteloup, se rendant à Paris.

Le jeune homme, au bout de l’avenue, se retourna vers le château et, apercevant à la fenêtre son père et son aïeul, brandit son chapeau et leur envoya un joyeux salut.

Le marquis s’épanouit :

— Le voilà, le moyen !… qu’il est charmant !

Et, se redressant :

— Est-ce que tu crois qu’il y ait de par le monde une héritière capable de nous refuser ?… Trop heureuses, mon cher enfant, trop heureuses !…



IV


Bernard avait un peu devancé l’heure du départ. Il n’était guère que trois heures quand il fit seller son cheval, et c’est à peine, lorsqu’il se trouva par les chemins, si la chaleur commençait à s’apaiser, si l’ombre des arbres commençait à s’allonger. Mais il n’y songeait guère. Sa forte jeunesse s’arrangeait de toutes les températures, comme elle se serait arrangée de tous les climats. C’était une de ces belles constitutions d’homme, un peu maigres, résistantes, qui ne connaissent jamais la fatigue. En hiver, ses amis le plaisantaient quand ils le rencontraient sans pardessus au mois de décembre. En été, il était toujours prêt à partir à travers champs, fît-il un soleil d’Asie.

— Ah ! quel bel officier ! quel beau marin tu aurais fait, lui disait souvent son ami de Frumand, un brave garçon qui aimait tendrement Bernard et qui tremblait de voir se perdre dans l’oisiveté tant d’heureux dons de nature.