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— Ils se ressemblent, murmura-t-il, c’est la même grâce et la même vivacité.

— Mais, grand-père, dit Bernard, je ne comprends pas ; vous parlez par énigmes. Qu’est-ce que cela représente ?

— Cela représente une personne que j’ai sauvée ce matin même.

— Comment, vous avez sauvé quelqu’un, et je vous trouve là tranquille comme si…

— Mon Dieu ! oui. Je me remettais de mes émotions et je dessinais son portrait. Un Greuze, mon cher enfant.

— Vivant ?

— Je le crois bien.

— Vous m’intriguez.

Le marquis se leva et passa son bras sous celui de Bernard.

— Je vais te conter la chose en rentrant déjeuner.

Le jeune homme se retourna encore.

— Et l’autre portrait ?

— Oh ! l’autre… je ne lui ai pas sauvé la vie… tu l’épouseras, sans doute… Cela vaudra peut-être mieux !

Et pendant qu’ils marchaient dans l’allée, le chien bondissant autour d’eux, courant en avant, revenant lécher leurs mains, quêtant les broussailles, le vieux marquis se penchait vers son petit-fils et lui racontait complaisamment son aventure du matin.

Bernard écoutait, un peu grave, plus grave que le marquis. Parfois il rougissait subitement. Parfois son œil s’attachait sur son grand-père avec un intérêt concentré et puissant. Ils étaient presque de même taille et se tenaient aussi droits l’un que l’autre. Mêmes épaules, même galbe, même type de visage, seulement plus blond et plus adouci chez Bernard, à cause de sa jeunesse et de son expression de visage, qui différait de celle du marquis. On pouvait, en les voyant ensemble, se livrer à de singuliers rapprochements, à de curieuses études de race.

Comme ils arrivaient au château, le bruit de leurs pas fit apparaître à la fenêtre un troisième personnage, beaucoup plus brun que les deux autres, un homme de quarante-cinq ans, grand, sec et maigre.

— Bonjour, père, dit Bernard en ôtant son chapeau.

— Vous vous donnerez la jaunisse, monsieur mon fils, à travailler si matin, cria le marquis.

Le comte de Cisay sourit à peine :

— Est-ce que vous rentrez, mon père ? demanda-t-il.

— Probablement.

— N’est-ce pas vous que j’ai aperçu sur la route, il y a une heure, entraînant un âne ?