Page:Le Correspondant 113 149 - 1887.pdf/123

Cette page a été validée par deux contributeurs.
117
PERDU

port de Salem sur le Chevalier ! Si elle avait pu se douter seulement qu’elle ne le reverrait plus jamais… Cependant ses pensées changèrent de cours à la fin. Dieu, après cette épreuve, lui avait épargné bien des peines et accordé de nombreuses bénédictions.

— Que la volonté de Dieu soit faite ! se dit-elle en rabattant un volet entre elle et le clair de lune.

Tandis qu’elle rallumait sa bougie, elle se sentait presque coupable :

— Quelle réprimande j’adresserais à Nelly, si elle passait la moitié de la nuit à contempler la lune ! Je suis vieille… Ces sortes de choses sont ridicules… Mais la nuit était si belle !… J’aurais voulu voir la lune briller derrière la cime des arbres.

Nelly cependant dormait du sommeil du juste dans la chambre voisine.

Le lendemain, à déjeuner, sa cousine était aussi calme, aussi réservée que jamais, et lui proposa de faire quelques visites dans l’après-dinée.

Aussitôt Nelly pensa naturellement à la robe qu’elle devait mettre. Celle qui fut choisie avait besoin de certaines réparations ; de sorte que le déjeuner terminé, elle s’établit avec sa boîte à ouvrage dans la salle à manger, une jolie pièce où miss Dane passait volontiers la matinée, sous prétexte de surveiller de là sa cuisine, qui n’avait nul besoin d’être surveillée ; en réalité c’était sans doute pour entendre une voix humaine, ne fût-ce que la voix peu mélodieuse de Mélisse, qui, ce matin-là, par parenthèse, chantonnait des psaumes tout en vaquant à sa besogne.

Nelly cependant fredonnait, l’aiguille à la main, une petite chanson :

Que feras-tu, ma mie, quand je serai loin,
Ma voile blanche ouverte au vent, la mer entre nous ?

Et miss Horatia allait et venait, montait l’escalier, redescendait, occupée de mille rangements.

Il se trouva que la robe avait besoin de plus de retouches que Nelly ne l’avait pensé d’abord. Les heures s’écoulèrent ; tout était silence dans la maison et dans le jardin, quand soudain un pas lourd cria sur le sable ; puis on frappa très fort à la porte de la cuisine.

Cette porte s’ouvrit, une voix d’homme demanda si on ne pourrait pas lui donner quelque chose à manger.

— Je crois bien que oui, répondit Mélisse. Entrez.

Les mendiants étaient peu nombreux à Longfield, et miss Dane ne souffrait pas que l’on sortît affamé de sa maison. Mélisse chercha