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sorte d’embarras, comme une chose dont on n’a point l’habitude.

— Je voudrais pourtant bien te donner l’exemple. Moi aussi j’ai à te parler, et puisque je suis le plus âgé, la justice veut que je commence…

— Comment, dit Bernard étonné, est-ce que toi aussi ?…

— Nous y voilà ! En avant !

— Toi… Frumand ! tu vas me parler d’amour !

— D’amour ; pas encore, mais de mariage, oui.

— Tu vas te marier ?

— J’ai fait une demande. C’est pour cela que ma mère est venue.

— Est-ce à Paris que tu as fait ta demande ?

— À Paris même. Oh ! ne crains rien, je n’ai pas dérogé à mes principes. Celle dont je voudrais faire la compagne de ma vie est aussi bonne Française, aussi bonne chrétienne qu’on la puisse rêver.

— Et ta mère t’encourage ?

— Ma mère ne ressemble pas à tout le monde, dit Frumand avec un certain orgueil ; elle a des idées à elle, tu as pu t’en apercevoir, et, en particulier, elle a des théories très spéciales sur le mariage appliqué à son fils. Mais ce que je savais bien, et ce qui n’a pas manqué, c’est qu’elle l’a trouvée charmante.

Bernard écoutait avec une attention avide. Il ne comprenait qu’à demi. Son étonnement et sa curiosité étaient surexcités, et il éprouvait un trouble étrange qui l’agitait plus que de raison. Il se leva et fit le tour de la table, chargée de livres.

— Quelle nouvelle, Frumand ! est-ce bien toi qui parles ? Tu l’aimes, n’est-ce pas ? Fait comme je te connais, tu l’adores, sans doute ? Toi qui n’avais jamais voulu aimer, tu te seras épris plus qu’un autre.

— Non, dit Frumand très grave. Je ne l’aime pas encore, et je ne veux pas l’aimer avant d’être fixé. J’ai mes raisons, j’ai mes idées, moi aussi, sur le mariage. Je ne veux donner mon cœur qu’à celle qui le gardera… Mais je suis tout prêt à le jeter à ses pieds si elle ne le refuse pas. Ma raison est aussi satisfaite de mon choix que le sont mes yeux et mes oreilles. Et pourtant !…

— Pourtant ?

— Je suis un original, tu sais, et je ne me serais peut-être pas décidé si on ne m’eût poussé par les épaules. J’avais de l’union conjugale une si haute idée, et de moi-même une si pauvre, que je n’osais m’y lancer. Mais on a agi, on m’a persuadé que je serais agréé ; on m’a flatté, on m’a pressé, beaucoup pressé, et, ma foi, je me suis laissé faire, et je ne m’en repens point. Maintenant, j’attends. Que sera la réponse ? Je ne sais. Comme je te l’ai dit, je veux me tenir prêt à tout.