Page:Le Correspondant 113 149 - 1887.pdf/1049

Cette page a été validée par deux contributeurs.

arrêtée de M. de Cisay, et enfin le voisinage de campagne avec Mme d’Oyrelles et le désir de garder des relations mondaines d’autant plus courtoises, que les relations intimes le deviendraient moins. D’ailleurs la soirée promettait d’être charmante, et elle le fut en effet. Il n’y avait pas beaucoup de monde, les salons étant petits et Mme de Ferrand détestant la cohue. Mais quel joli ensemble ! quel goût discret ! Les gens se connaissaient, et la plupart depuis longtemps. On se sentait à l’aise, on se retrouvait avec joie, et la maîtresse de maison ondoyait de l’un à l’autre avec sa souplesse de corps et d’esprit. Peu de danseuses : trois ou quatre jeunes femmes et autant de jeunes filles. Mais c’était la fine fleur d’un monde élégant dans lequel Mme de Ferrand avait toujours vécu. Le marquis rayonnait. Dès les premiers pas, il ressentit un tel bien-être, qu’il se prit à regarder autour de lui pour savoir d’où cela lui venait. Certes, pendant ce dernier hiver, il en avait vu des soirées et des fêtes ; mais aucune qui eût ce charme, dû à la personnalité intelligente de sa vieille amie. Peu à peu la gaieté naquit, et d’autant plus sincère qu’on ne l’avait point forcée. Plusieurs des jeunes gens et des jeunes filles, amis d’enfance, s’appelaient par leur petit nom. Et les grands parents ne s’en étonnaient guère, occupés qu’ils étaient à repasser entre eux de vieux souvenirs de jeunesse. Là, point de chocs, point de heurts. Mots et gestes, tout était d’accord. Les femmes savaient de quel ton il fallait parler aux hommes. Peut-être, au fond des choses, y avait-il, comme partout, des rivalités vivaces. Mais c’était enveloppé de velours.

Le marquis s’en donnait à cœur joie de causer. Tout vieux qu’il fût, il était encore très brillant. Il portait le frac avec une désinvolture que de plus jeunes pouvaient lui envier ; il avait l’œil vif ; son teint, un peu chaud, rajeunissait sous la lumière, et les deux touffes de cheveux blancs, légèrement poudrés, qu’il faisait savamment bouffer à la hauteur des tempes, étaient d’une coquetterie, d’une élégance, d’un raffinement ! Il avait toujours des succès, c’était visible. On l’entourait. Mme de Ferrand lui consacrait tous les loisirs dont elle pouvait disposer.

— Mon Dieu ! que votre Bernard est charmant, lui disait-elle à mi-voix. Que vous devez en être fier ! C’est une flatterie vivante à votre endroit.

— Ne me le dites pas ; je serais tenté de le croire…

— C’est très original de vous voir tous les trois réunis ! Cela prête aux études comparées, aux études sociales. Je m’étonne que M. Le Play ne vous ait pas déjà croqués.

— Non. Comme famille souche nous ne sommes pas un exemple. Mais tels que nous voilà, nous représentons un siècle.