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personne de mécontent de voir le vrai maître remis en possession de sa femme et de ses biens, si ce n’est peut-être le juif, mais celui-là n’est jamais venu se plaindre. Du feu de Kerdéval il a dû passer au feu de l’enfer où il continue de cuire, espérons-le, pour l’éternité.

La princesse, on s’en souvient, avait juré de ne retourner en Angleterre que lorsque la mort l’aurait réunie à Jean Carré. Jean Carré pensa que la condition exigée avait peut-être été remplie, puisqu’en somme c’était grâce à un mort qu’il avait pu rejoindre sa femme. La marraine fut de son avis. Ils s’embarquèrent donc tous pour Londres. Mais le roi et la reine de ce pays ayant trépassé peu après, Jean Carré, sa femme et sa marraine, regagnèrent leur château de Basse-Bretagne où désormais ils vécurent heureux. Puissiez-vous avoir bonheur égal, à moins de frais[1].


(Conté par Lise Bellec, couturière. — Port-Blanc.)
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  1. Quiconque est au courant de la vieille littérature romanesque française aura reconnu dans cette légende, dès les premières pages, une variante bretonne du célèbre « Jean de Calais ». Mais que de différences entre l’original français et l’adaptation bretonne ! Et je ne parle pas des différences de forme ; j’entends celles qui atteignent le fond même du récit. Le peuple armoricain ne s’est pas contenté de transporter dans sa langue, avec la tournure d’esprit qui lui est particulière, le texte qui lui était fourni. Il a remanié ce récit de fond en comble ; à vrai dire, il l’a recréé. On nous saura peut-être gré de donner ici un rapide résumé du roman de France. On pourra ainsi se rendre compte de la façon dont l’imagination bretonne bretonnise, en quelque sorte, les matières où elle s’applique ; on pourra discerner quelles combinaisons nouvelles elle y