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Comme sa femme, Gonéri Rojou s’extasia.

— Si tu voulais, reprit celle-ci, nous aurions à nous tout ce linge, sauf ce qu’il en est besoin pour faire un « drap de mort » à la vieille Marie-Jeanne.

— Après tout, observa Rojou, pourquoi d’autres, et non pas nous ?

— Il y a là de quoi faire six douzaines de beaux draps de lit, autant de nappes pour envelopper le pain[1], et au moins quatre-vingts chemises d’homme, de femmes et d’enfant. Ne le crois-tu pas, Gonéri ?

— Si, ma foi !… Écoute, tu vas rester ici garder la vieille. Moi, je vais déloger les pièces de toile et les transporter chez nous. Cela ne sera ni vu, ni entendu. Je t’en laisserai seulement une, dans laquelle, pendant que je ferai ma tournée, tu tailleras le linceul.

Et Gonéri Rojou de partir, chargé comme un âne. Encore ne sentait-il pas le poids de son péché qui aurait dû peser à ses épaules plus que tout le reste.

Au bout d’une demi-heure, il était de retour.

Le cadavre de Marie-Jeanne Hélary attendait toujours son linceul. Lénan Rojou, à genoux sur une pièce de toile déployée à terre, tenait une paire de ciseaux dans sa main droite, mais ne se décidait pas à en faire usage.

Damen ! s’écria Gonéri, dès le seuil, il ne semble pas que tu aies beaucoup avancé la besogne.

  1. Dans la plupart des fermes bretonnes où se pratiquent encore les anciens usages, le pain demeure constamment sur la table. On l’enveloppe d’une nappe (ann doubier). C’est cette nappe que l’on déploie devant l’hôte, au moment où il prend place à la table commune.