Page:Le Braz - La légende de la mort en Basse Bretagne 1893.djvu/190

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Troadek. Celui-là avait un peu plus de pudeur que les autres.

— Tout de même, garçons, dit-il, ce n’est pas bien ce que nous faisons là. Ne craignez-vous pas que nous ayons à nous repentir de nous comporter ainsi à l’égard d’un mort ? Nous n’avons seulement pas récité un De profundis pour le repos de son âme.

— Ho ! ho ! ho ! ricana Luch ar Bitouz, l’âme de Lôn Ann Torfado ! Si tant est qu’il en ait jamais eu une, elle aimerait mieux jouer et boire avec nous, que d’entendre réciter des De profundis !

— Sacré Dié, oui ! appuya Fanch Vraz. C’était un fier chenapan que ce Lôn. Je suis sûr, tout mort qu’il est, que, si on lui proposait une partie, il l’accepterait encore.

— Ne dis pas de ces choses, Fanch.

— Nous allons bien le voir !

Joignant le geste à la parole, il brassa les cartes, et, comme c’était à lui la donne, au lieu de quatre jeux il en fit cinq.

— Vieux Lôn ! cria-t-il, il y en a un pour toi.

Alors se passa une chose terrible à dire.

Le mort, dont les mains étaient jointes sur la poitrine, laissa glisser peu à peu son bras gauche jusqu’à la table des joueurs, posa la main sur les cartes qui lui étaient destinées, les éleva au-dessus de son visage, comme pour les regarder, puis en fit tomber une, pendant qu’une voix formidable hurlait par trois fois :

— Pique et atout, damné sois-je ! Pique et atout ! Pique et atout !