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Vous auriez dû faire comme moi, et tremper vos pieds dans l’eau. Ça rafraîchit tout le sang.

— Qu’est-ce que tu racontes ? fit-il. Je ne suis pas allé du côté des prés. C’était aujourd’hui la foire de Saint-Trémeur, et j’en arrive.

Je m’aperçus alors seulement qu’il avait sa veste des dimanches.

— Tiens ! Je croyais,… il m’avait semblé !… Je balbutiais maladroitement. Heureusement que la corne sonna pour le souper. À table, je ne desserrai pas les dents. Mais j’avais l’esprit bien tourmenté, je vous promets.

Je couchais au bas bout de la cuisine, avec la grande servante[1]. Nous partagions le même lit. Quand nous fûmes toutes deux dans nos draps, je dis à ma compagne :

— Il y a un malheur suspendu sur cette maison. Je lui contai l’aventure. Elle me traita de folle, mais je vis bien qu’au fond elle n’était pas plus rassurée que moi-même.

Comme le jour approchait, mais avant que les coqs n’eussent chanté, j’entendis qu’on appelait la grande servante, de l’autre bout de la cuisine, où était le lit des maîtres. Je la poussai du coude ; elle se leva. Peu d’instants après, elle accourait m’apprendre que Jean Derrien venait de trépasser. Il était mort d’un coup de sang.


(Conté par Naïc, fruitière ambulante. — Quimper, 1888.)


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  1. Ar vatès-vraz, la principale domestique.