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— Vous n'avez pas peur aussi, Marie-Job, à voyager de la sorte, nuitamment, toute seule par les chemins ?

A'quoi elle répondait :

— Ce sont les autres, au contraire, qui ont peur de moi. Ils croient, au bruit que fait ma charrette, que c'est celle de TAnkou.

Et c'est vrai que, dans l'obscurité, on pouvait, ma foi, s'y méprendre, tant Tessieu grinçait, tant les ferrailles cliquetaient et tant le cheval lui-même avait l'air d'une bête de l'autre monde. Puis, s'il faut tout dire, il y avait une raison encore et que la vieille Marie-Job n'avouait pas : c'est qu elle était réputée, dans le pays, pour être un peu sorcière. Elle savait des « secrets », et les chenapans même les plus audacieux préféraient se tenir respectueusement à distance plutôt que de s'exposer à ses maléfices.

Une nuit pourtant, il lui arriva une aventure, que voici.

C'était en hiver, sur la fin de décembre. Depuis le commencement de la semaine, il gelait à faire éclater les pierres des tombeaux. Bien qu'habituée aux pires intempéries, Marie-Job avait déclaré que, si le froid était aussi vif, elle ne se rendrait sûrement pas au marché de Lannion, non pas tant par ménagement pour sa propre personne que par amitié pour Mogis, son cheval, qui était, comme elle disait, toute sa famille. Mais voilà que, le mercredi soir, à l'heure de YAngeluSf elle vit entrer chez elle sa meilleure prati-que^ Glauda Goff, la marchande de tabacs.