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Les Bretons excellent, en effet, dans ce genre de récits. Comme il n’y a pas de sujet qui les captive davantage, il n’y en a pas non plus où ils déploient des ressources plus riches et plus variées. Ils y mettent, semble-t-il, le tout d’eux-mêmes. Et ce tout n’est pas rien, s’il est exact que peu de races ont eu une manière plus originale de sentir et de penser. « Comparée à l’imagination classique, dit Renan, l’imagination celtique est vraiment l’infini comparé au fini[1]. » Le certain, c’est qu’on ne saurait vivre longtemps avec le peuple breton, sans être frappé de ce qu’il a dans l’âme de fin, de rare, et parfois d’exquis. Ses chants, du reste, sont là pour en témoigner. Une poésie d’essence peu commune s’y révèle, délicatement nuancée dans les Soniou, pleine d’accent et de sobre énergie dans les Gwerziou. Et ce qui n’est pas moins remarquable, c’est l’art inconscient et tout spontané avec lequel ce peuple sans culture s’entend à traduire ses émotions et ses rêves. Comme il est né poète, il est né conteur. Il a le sens instinctif de la composition ; il a surtout le don inné du mouvement, du pittoresque, de la couleur. Ainsi s’expliquent la forme et le ton, en quelque sorte littéraires, de ces légendes. Ce sont autant de petits drames que souvent le conteur a vécus lui-même, qui le touchent, en tout cas, au plus vif de son

  1. Essais de morale et de critique, p. 386.