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du tort, il se venge. Son âpreté paysanne ne l’abandonne pas, ni davantage, il est vrai, le souvenir des dettes qu’il a laissées impayées et dont, au reste, il ne s’acquitte pas moins religieusement que ne faisait le Celte du temps des druides. Comme de son vivant, il se passionne, fermier, pour son champ, pêcheur, pour sa barque et pour ses filets. Sa maison, il la hante presque autant que par le passé. Il revient s’asseoir dans l’âtre, chauffer ses pieds à la braise, converser avec les servantes, surveiller le train des gens et celui des choses.

Il revient, ai-je dit ? L’expression est impropre. Ce ne sont point là des revenants, puisque, à parler exactement, ils ne se sont point éloignés, ou si peu ! On n’a pas plus tôt cloué le cadavre dans sa bière qu’on le rencontrera minute d’après, adossé à la barrière de son courtil. Si la mort est un voyage, le retour, en tout cas, suit de bien près le départ. Peut-être est-ce au mode chrétien de sépulture qu’il faut attribuer cette déformation de l’ancien mythe. La création des cimetières a dû suggérer l’idée que l’autre monde commençait au seuil de la fosse : il n’a donc plus été localisé dans une région déterminée, spéciale, isolée par des montagnes ou par la mer. Le Yeun Elez s’est vu dépouiller ainsi d’une partie de son prestige : on a continué d’y acheminer les âmes, mais seulement les âmes inquiètes, dangereuses, celles