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funéraire dont elle n’était séparée que par le vitrage d’une fenêtre ouvrant au ras du sol sacré[1]. Cette promiscuité quasi perpétuelle de la vie et de la mort est une des choses qui frappent le plus en ce pays.

Il serait mauvais que l’enfant qui vient de naître n’eût pas à traverser le cimetière pour aller se faire baptiser. Jeune homme, c’est sous les ormes ou les ifs du cimetière qu’il donnera rendez-vous, après vêpres, à la jeune fille dont il aura « désir », et c’est sur le mur du cimetière que sa « douce » attendra, les jours de pardon, qu’il l’invite à la promenade ou à la danse. C’est encore des marches du cimetière que se font les proclamations, les annonces, les bans. Le cimetière est tout ensemble une tribune publique et un mail[2]. On y


1. C’est la maison désignée sous le nom d’hôtel de la Duchesse Anne.

2. C’est aussi sur les marches des cimetières que se placent les chanteurs ambulants, les dimanches et jours de pardon. Volontiers, du reste, ils s’inspirent du cimetière dans leurs productions sur feuilles volantes. Une de leurs chansons les plus répandues en pays trégorrois est le Cantic Var ar Berejou (cantique sur les cimetières). « Puisque j’ai un peu de loisir — dit l’auteur de cette composition — je vais faire un cantique au cimetière, afin qu’il soit plus respecté... Écoutez, mon frère, écoutez, ma sœur... Dans le cimetière sont les corps de nos pères et de nos mères, de nos frères et de nos sœurs, de nos proches et de nos amis. Ecoutez donc leur voix plaintive. Vous le pouvez, ne le refusez pas. Faites pour eux un bout de prière, pour soulager leur peine et leur angoisse... Quand vous traversez le cimetière, priez pour ceux qui

  1. C’est la maison désignée sous le nom d’hôtel de la Duchesse Anne.
  2. C’est aussi sur les marches des cimetières que se placent les chanteurs ambulants, les dimanches et jours de pardon. Volontiers, du reste, ils s’inspirent du cimetière dans leurs productions sur feuilles volantes. Une de leurs chansons les plus répandues en pays trégorrois est le Cantic Var ar Berejou (cantique sur les cimetières). « Puisque j’ai un peu de loisir — dit l’auteur de cette composition — je vais faire un cantique au cimetière, afin qu’il soit plus respecté... Écoutez, mon frère, écoutez, ma sœur... Dans le cimetière sont les corps de nos pères et de nos mères, de nos frères et de nos sœurs, de nos proches et de nos amis. Ecoutez donc leur voix plaintive. Vous le pouvez, ne le refusez pas. Faites pour eux un bout de prière, pour soulager leur peine et leur angoisse... Quand vous traversez le cimetière, priez pour ceux qui sont décédés... Réfléchissez cependant que vous serez comme eux sans tarder. Alors, à votre tour, pour obtenir une prière, vous souhaiterez de voir des gens passer... Respectez la terre du cimetière : c’est par elle que vous avez passé pour (aller) recevoir le baptême, lorsque vous êtes venu en ce monde. Par elle il vous faudra passer encore, lorsque vous y serez mis comme les autres... Vous qui êtes enclins, à la boisson,... quand vous êtes ivres, vous traversez le cimetière comme des brutes sans égards,... en jurant, en proférant des paroles déshonnêtes, et cependant, après votre trépas, c’est lui qui recevra vos corps. » Le poète-paysan s’attaque ensuite aux propriétaires avares qui voudraient avoir à eux seuls toute la terre : « Non, jamais vous ne serez rassasiés de terre jusqu’à ce qu’on vous en ait rempli la bouche. Vous ne vous tiendrez pour contents que lorsque vous aurez eu votre lot dans le cimetière... Là, vous aurez de la terre sous vous, vous aurez de la terre de chaque côté, vous aurez de la terre sur vous. Vous serez enveloppé de terre, et ne verrez plus ni soleil ni lune. » Puis vient le thème de l’égalité devant la mort : « Au cimetière, il n’y a pas de primauté pour les gens de qualité. Le premier que l’on ensevelit est aussi celui qui a le pas pour entrer au cimetière. La seule différence qu’il y ait entre les lieux de sépulture est qu’une place est réservée pour enterrer les huguenots et ceux qui se sont donné la mort... Par ailleurs, il n’y a point de distinction entre les gens de peu et la noblesse. Les tombes des pauvres se reconnaissent aux tertres de terre épars dans le cimetière... Des tombes plus hautes indiquent au passant où sont enterrés les prêtres. » Relevons encore ce passage : « Notre corps ne fera qu’un avec la terre du cimetière... Quand on exhumera nos ossements, on les jettera pêle-mêle dans le cimetière ou dans le charnier, exposés à la pluie et au vent. Quelque temps après, on les ramassera de nouveau pour leur donner la sépulture définitive... jusqu’au dernier jour du monde, jusqu’au jour du Jugement, le jour d’angoisse et d’épouvante. » Ce Cantique des cimetières fait partie de la collection de chansons bretonnes sur feuilles volantes imprimée chez Le Goffic, à Lannion.