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n’ai pas besoin de vous dire que ma mère n’avait nulle envie de dormir. Elle fit mine de se coucher, et de tirer sur elle les volets du lit. Mais quand il se fut écoulé quelque temps, elle se releva en chemise et vint coller l’oreille à la cloison.

Il n’était resté dans la cuisine que la veuve de Youenn, et deux vieilles femmes du voisinage qui avaient coutume d’ensevelir.

Dans la cour, on entendait causer les gens de la maison, et d’autres, venus des alentours, pour la veillée. Tous se demandaient comment la mort avait pu abattre si soudainement un homme aussi solide.

C’était aussi ce qui intriguait ma mère. Elle ne tarda pas à être renseignée, car elle ne perdit pas un mot du récit que faisait la fermière aux deux vieilles femmes, dans la cuisine, pendant qu’elles lavaient ensemble le cadavre de Youenn.

— Vous savez, disait la fermière, que jamais il ne manquait de vente. Quand je l’ai vu revenir avec les bœufs, je lui en ai fait reproche.

— Youenn, lui dis-je, cette fois tu es en faute.

— C’est la première fois et ce sera la dernière, me répondit-il.

— Plaise à Dieu ! fis-je.

Il me regarda drôlement et il me dit :

— Voilà un souhait que tu regretteras vite de voir exaucé, car il t’en viendra grande peine… Oui, poursuivit-il, après un silence, c’est la première fois que tu me prends en faute sur un marché, et ce sera aussi la dernière, parce que nul autre marché je ne ferai de ma vie. Demain, l’on m’enterrera.