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— M’est avis, Youenn, dit ma mère, que la foire de Pleyben ne vous a guère rapporté.

— C’est ce qui te trompe, répondit le maître d’un ton étrange : elle m’a rapporté plus que je ne souhaitais.

— Voire, pensa ma mère… En tout cas, il n’avait pas l’air joyeux ; il laissait aller son cheval au pas, la bride abandonnée sur le cou. Quant à lui, il avait les bras croisés, la tête inclinée et songeuse. Les bœufs l’escortaient, l’un à droite, l’autre à gauche, avec une sorte de solennité : ils avaient dû perdre à la foire le joug qui les attachait. C’étaient d’ailleurs deux bonnes bêtes dociles, quoique jeunes. Ils n’avaient pas encore été attelés à la charrue, ni au tombereau, parce que Youenn les réservait pour la vente, mais on voyait déjà, à leur allure posée, à la façon paisible dont ils allongeaient le mufle vers le sol, qu’ils étaient tout prêts à faire de vaillante besogne »

Pour le moment ils avaient l’air, eux aussi, de songer à des choses tristes, comme le maître.

On marcha quelque temps en silence, les vaches en avant. Ma mère se demandait ce que le maître avait bien pu vouloir dire. En quoi donc la foire de Pleyben lui avait-elle rapporté plus qu’il ne souhaitait ?

Il tenait le milieu de la chaussée, avec la paire de bœufs. Ma mère cheminait dans l’herbe de la douve.

Tout à coup Youenn l’interpella :

— Tina, dit-il, je ramènerai moi-même les vaches. Toi, prends cette voie de traverse et cours d’une haleine jusqu’au bourg. Tu passeras d’abord chez le menuisier pour lui commander un cercueil de six pieds