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CHAPITRE III

Rôle politique de la Peur


Malgré l’insuffisance avouée de mes connaissances en occultisme, je ne crois pas téméraire de tenter une classification des fantômes et de rechercher les lois de leur formation.

Pour les cataloguer utilement, il faut d’abord délimiter leur puissance respective.

On admettra aisément, et sans démonstration je pense, que la plupart des grands événements du passé ont été réalisés sous l’influence de fantômes. Étudiée d’un point de vue assez élevé pour saisir son ensemble, l’histoire apparaît comme la collection des efforts des peuples pour créer des fantômes ou les détruire. La politique, ancienne ou moderne, n’est qu’une lutte de fantômes.

Mais toutes ces ombres ne possèdent pas un pouvoir égal. Elles ont leur hiérarchie et c’est ici qu’intervient la nécessité d’une classification.

À son sommet règne une petite cohorte de fantômes très puissants, très redoutables, contre lesquels toute résistance serait vaine. Le temps seul est leur maître.

Ces ombres souveraines sont celles des fondateurs de grandes croyances. Du fond de leurs tombeaux, ils dictent impérieusement leurs lois à des millions d’hommes. C’est pour les servir que de brillantes civilisations ont surgi, que les peuples se sont furieusement combattus et que tout récemment encore 30.000 Arméniens furent massacrés en quelques jours.

Au dessous de ces maîtres redoutés, évoluent les fantômes des héros. Quelques uns se bornent à créer les légendes et les mythes encadrant l’idéal des peuples, mais il en est d’assez forts pour exercer leur influence, bienfaisante ou néfaste, sur des événements très éloignés d’eux. Tel, par exemple, le fantôme de Napoléon qui fit sacrer empereur son neveu et nous valut Sedan.

À l’autre extrémité de cette hiérarchie des ombres, grouille une légion immense de petits fantômes bruyants, tapageurs et vains, sans puissance réelle et sans durée.