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CHAPITRE II

Les nécessités économiques et les théories politiques


Les images évoquées dans l’esprit par des récits impressionnent médiocrement et c’est pourquoi les différences du passé et du présent n’apparaissent jamais bien clairement.

On ne se représente nettement les choses abstraites qu’en les comparant à des impressions concrètes déjà ressenties. Qui a vu une bataille ou un naufrage sera toujours impressionné par le récit d’événements semblables.

Cette représentation du passé par voie de comparaison concrète me fut rendue très frappante un jour dans les circonstances que voici :

Les hasards d’une excursion m’avaient conduit à traverser en automobile le pont jeté sur le fleuve qui divise en deux villes l’antique cité de Huy, en Belgique. Un brouillard tellement intense l’enveloppait qu’il fallut s’arrêter. Je descendis et m’accoudai au parapet.

Sous l’épais manteau de brume enveloppant les choses on entrevoyait des masses monumentales imposantes. C’était pour moi l’inconnu. J’attendis qu’il se dévoilât.

Soudain, un clair rayon de soleil dissipa les nuages et, dans une vision imprévue, surgirent, séparés par le fleuve, deux mondes, deux expressions de l’humanité dressées en face l’une de l’autre et qu’au premier coup d’œil on devinait menaçantes, inconciliables et terribles.

Sur la rive gauche un agrégat d’antiques édifices.

Dominant leur ensemble, un gigantesque château-fort aux lignes rigides et une majestueuse cathédrale, dont la piété ardente de nombreuses générations avait pendant des siècles lentement festonné les contours.

Sur la rive droite, faisant face à ces grandes synthèses d’un autre âge, se développaient les murs tristes et nus d’une immense usine de briques grisâtres, surmontée de hautes cheminées, vomissant des torrents de fumée noire sillonnée de flammes.

À intervalles réguliers une porte s’ouvrait, livrant pas-