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FACTEURS LOINTAINS DES CROYANCES

Il est évidemment trop tard pour remonter un tel courant. Seule l’expérience, dernière éducatrice des peuples, se chargera de nous montrer notre erreur. Elle seule sera assez puissante pour prouver la nécessité de remplacer nos odieux manuels, nos pitoyables concours par une instruction professionnelle capable de ramener la jeunesse vers les champs, les ateliers, les entreprises coloniales, qu’aujourd’hui elle cherche à tout prix à fuir.

Cette instruction professionnelle que tous les esprits éclairés réclament maintenant fut celle qu’ont jadis reçue nos pères, et que les peuples qui dominent aujourd’hui le monde par leur volonté, leur initiative, leur esprit d’entreprise ont su conserver. Dans des pages remarquables, dont je reproduirai plus loin les parties les plus essentielles, un grand penseur, M. Taine, a montré nettement que notre éducation d’autrefois était à peu près ce qu’est l’éducation anglaise ou américaine d’aujourd’hui, et, dans un remarquable parallèle entre le système latin et le système anglo-saxon, il a fait voir clairement les conséquences des deux méthodes.


    est, comme chez nous, obtenu par des concours dont la seule épreuve est la récitation imperturbable d’épais manuels. L’armée des lettrés sans emploi est considérée aujourd’hui en Chine comme une véritable calamité nationale. Il en est de même dans l’Inde, où, depuis que les Anglais ont ouvert des écoles, non pour éduquer, comme cela se fait en Angleterre, mais simplement pour instruire les indigènes, il s’est formé une classe spéciale de lettrés, les Babous, qui, lorsqu’ils ne peuvent recevoir un emploi, deviennent d’irréconciliables ennemis de la puissance anglaise. Chez tous les Babous, munis ou non d’emplois, le premier effet de l’instruction a été d’abaisser immensément le niveau de leur moralité. C’est un fait sur lequel j’ai longuement insisté dans mon livre Les Civilisations de l’Inde, et qu’ont également constaté tous les auteurs qui ont visité la grande péninsule.