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IDÉES, RAISONNEMENTS ET IMAGINATION

leurs, plus apparentes que réelles, car les idées héréditaires seules sont assez puissantes chez l’individu isolé pour devenir des mobiles de conduite. C’est seulement lorsque, par des croisements, l’homme se trouve entre les impulsions d’hérédités différentes, que les actes peuvent être réellement d’un moment à l’autre tout à fait contradictoires. Il serait inutile d’insister ici sur ces phénomènes, bien que leur importance psychologique soit capitale. Je considère qu’il faut au moins dix ans de voyages et d’observations pour arriver à les comprendre.

Les idées n’étant accessibles aux foules qu’après avoir revêtu une forme très simple, doivent, pour devenir populaires, subir souvent les plus complètes transformations. C’est surtout quand il s’agit d’idées philosophiques ou scientifiques un peu élevées, qu’on peut constater la profondeur des modifications qui leur sont nécessaires pour descendre de couche en couche jusqu’au niveau des foules. Ces modifications dépendent des catégories des foules ou de la race à laquelle ces foules appartiennent ; mais elles sont toujours amoindrissantes et simplifiantes. Et c’est pourquoi, au point de vue social, il n’y a guère, en réalité, de hiérarchie des idées, c’est-à-dire d’idées plus ou moins élevées. Par le fait seul qu’une idée arrive aux foules et peut agir, si grande ou si vraie qu’elle ait été à son origine, elle est dépouillée de presque tout ce qui faisait son élévation et sa grandeur.

D’ailleurs, au point de vue social, la valeur hiérarchique d’une idée est sans importance. Ce qu’il faut considérer, ce sont les effets qu’elle produit. Les idées chrétiennes du moyen âge, les idées démocratiques du