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PSYCHOLOGIE DES FOULES

« L’enfant fut reconnu par un autre enfant — qui se trompait. La série des reconnaissances inexactes se déroula alors.

Et l’on vit une chose très extraordinaire. Le lendemain du jour où un écolier l’avait reconnu, une femme s’écria  : « Ah ! mon Dieu, c’est mon enfant. »

On l’introduit près du cadavre, elle examine les effets, constate une cicatrice au front. « C’est bien, dit-elle, mon pauvre fils, perdu depuis juillet dernier. On me l’aura volé et on me l’a tué ! »

La femme était concierge rue du Four et se nommait Chavandret. On fit venir son beau-frère qui, sans hésitation, dit  : « Voilà le petit Philibert. » Plusieurs habitants de la rue reconnurent Philibert Chavandret dans l’enfant de la Villette, sans compter son propre maître d’école pour qui la médaille était un indice.

Eh bien, les voisins, le beau-frère, le maître d’école et la mère se trompaient. Six semaines plus tard, l’identité de l’enfant fut établie. C’était un enfant de Bordeaux, tué à Bordeaux et, par les messageries, apporté à Paris[1].

On remarque que ces reconnaissances se font, le plus souvent, par des femmes et des enfants, c’est-à-dire précisément par les êtres les plus impressionnables. Elles nous montrent, du même coup, ce que peuvent valoir en justice de tels témoignages. En ce qui concerne les enfants, notamment, leurs affirmations ne devraient jamais être invoquées. Les magistrats répètent comme un lieu commun qu’à cet âge on ne ment pas. Avec une culture psychologique un peu moins sommaire ils sauraient qu’à cet âge, au contraire, on ment presque toujours. Le mensonge, sans doute, est innocent, mais n’en est pas moins un mensonge. Mieux vaudrait décider à pile ou face la condamnation d’un accusé que de la décider,

  1. Éclair du 21 avril 1895.