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à son égard comme à l’égard de tous les dogmes religieux. Le temps seul agit sur eux.

Il serait d’ailleurs d’autant plus inutile d’essayer d’ébranler ce dogme qu’il a des raisons apparentes pour lui : « Dans les temps d’égalité, dit justement Tocqueville, les hommes n’ont aucune foi les uns dans les autres, à cause de leur similitude ; mais cette même similitude leur donne une confiance presque illimitée dans le jugement du public  ; car il ne leur parait pas vraisemblable, qu’ayant tous des lumières pareilles, la vérité ne se rencontre pas du côté du plus grand nombre. »

Faut-il supposer maintenant qu’avec un suffrage restreint — restreint aux capacités, si l’on veut — on améliorerait les votes des foules ? Je ne puis l’admettre un seul instant, et cela pour les raisons que j’ai déjà dites de l’infériorité mentale de toutes les collectivités, quelle que puisse être leur composition. En foule les hommes s’égalisent toujours, et, sur des questions générales, le suffrage de quarante académiciens n’est pas meilleur que celui de quarante porteurs d’eau. Je ne crois pas du tout qu’aucun des votes tant reprochés au suffrage universel, tel que le rétablissement de l’Empire, par exemple, eût été différent si les votants avaient été recrutés exclusivement parmi des savants et des lettrés. Ce n’est pas parce qu’un individu sait le grec ou les mathématiques, est architecte, vétérinaire, médecin ou avocat, qu’il acquiert sur les questions sociales des clartés particulières. Tous nos économistes sont des gens instruits, professeurs et académiciens pour la plupart. Est-il une seule question générale : protectionnisme, bimétallisme, etc., sur laquelle ils aient